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les provinces se décident pour la première fois à faire un empereur. Ce moment fut grand et fatal dans l’empire romain. Le moment où nos départemens se décideront aussi à croire qu’on peut faire un gouvernement ailleurs qu’à Paris n’est point encore venu, et n’a pas eu besoin de venir, grace à la victoire que Paris a remportée sur la sédition.

S’il n’y avait eu pour nous, dans la défaite du parti montagnard, d’autre joie que celle de l’abaissement de nos ennemis, nous ne nous tiendrions pas pour satisfaits. Cette défaite a fait plus et mieux. Elle a éclairci un doute qui pesait sur le cœur des bons citoyens ; elle a montré que l’armée, en dépit de détestables avances, n’était pas d’humeur à se prêter aux desseins des factieux. L’armée n’a pas perdu la religion du drapeau. C’est là une grande force sociale parce que c’est une grande force morale. Cette religion du drapeau a inspiré, à Lyon comme à Paris, de généreux dévouemens, et quelques-unes de ces paroles héroïques comme de tout temps il y en a eu dans l’armée, c’est dire dans une profession où l’honneur est de mourir pour le devoir. Ainsi à Lyon le capitaine Mortel, du 17e léger, s’était le matin laissé surprendre, et désarmer avec cent cinquante hommes par une bande d’émeutiers. À peine échappé de leurs mains, il va combattre en homme qui cherche la mort. Il est frappé mortellement à l’attaque d’une barricade. « Je devais mourir aujourd’hui, dit-il je n’ai qu’un regret, c’est de ne pas avoir succombé huit heures plus tôt. » Le repentir ici grandit le dévouement. Toute l’histoire du 17e léger à Lyon est admirable. Il y avait eu dans ce régiment quelques hommes qui s’étaient laissé séduire par les embaucheurs de la démagogie. L’émeute comptait sur ce régiment ; aussi, en le conduisant à l’assaut des barricades, son colonel, M. Gresy, lui disait énergiquement : « Soldats, le régiment a une tache, il doit l’effacer. » Et la tache a été noblement effacée. Après la victoire, le 17e léger reçoit avec de grandes acclamations le général Gemeau, commandant de la division militaire, et le général, avec une franchise toute militaire : « Soldats du 17e, dit-il, depuis quelque temps l’armée n’avait pas à se louer de la manière dont vous portiez le drapeau ; aujourd’hui vous l’avez réhabilité, vous l’avez couvert de gloire. Soyez remerciés et par vos chefs et par votre pays. »

Le général Magnan, le général d’Arbouville, le général Gemeau, ont fait à Lyon ce que le général Changarnier a fait à Paris. Ils ont sauvé la société. Et qu’on ne nous reproche pas de nous occuper si souvent de l’armée c’est la reconnaissance qui nous en fait une loi. Nous nous tournons avec empressement vers le corps qui, selon nous, représente le mieux la société française dans ce qu’elle a de force et d’avenir, qui est lui-même une société organisée, disciplinée, hiérarchique enfin, et qui, par cela même, est la plus propre à servir de centre et de noyau à la grande société, relâchée et disloquée comme elle l’est. Nous voyions dernièrement aux Invalides, aux funérailles du maréchal Bugeaud, les chefs et l’élite de cette armée, et, en considérant la généreuse douleur de tous ces compagnons d’armes du maréchal, les larmes qui coulaient sur ces visages que le danger de la mort n’a jamais fait pâlir, nous nous disions que ceux qui savaient si bien regretter le maréchal étaient ceux qui sauraient le mieux l’imiter.

La perte du maréchal Bugeaud a été ressentie partout où la France est aimée comme une patrie dont rien, pas même l’injustice, ne peut nous séparer. C’est