Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

noblesse de l’ame incapable de soupçonner le mal et toujours disposée, dans sa bienveillante candeur, à honorer ses plus indignes adversaires. Ardent au contraire et prompt à la lutte, le jeune prince Lichnowsky avait tout l’éclat des vieilles races chevaleresques ; il était né pour les coups de main et les brillantes aventures. Engagé à vingt ans dans un régiment de hussards prussiens, il a honte de son repos, tandis que la légitimité est en cause sur les champs de bataille de l’Espagne ; cette idée, ce remords, le tourmentent pendant trois ans ; il part enfin et arrive en 1837 au camp de don Carlos. nommé général du brigade et attaché à l’infant don Sébastien, il fait toutes les campagnes de cette année ; il se bat à Huesca, à Barbastro, à Herrera, et, traversant la Castille, le voilà avec l’armée carliste sous les murs de Madrid. Les succès de don Carlos ne se prolongent pas, et le prince Lichnowsky est envoyé par le prétendant en mission diplomatique. Il revient en Espagne en 1839, prend encore part à plusieurs combats, et s’éloigne décidément du théâtre de la guerre. Il publie alors le récit de ses aventures dans un livre intitulé Souvenirs des années 1837, 1838 et 1839. Trois ans plus tard, il va en Portugal, et ce voyage lui fournit encore, l’occasion d’un curieux et spirituel ouvrage, Souvenirs du Portugal en 1842. IL justifiait bien sa fière devise :

Dextra tenet calamum, strictum tenet altera ferrum.


Retourné enfin dans sa patrie, il est envoyé à la chambre des députés de Berlin en 1847, et il prend place parmi les plus brillans, parmi les plus chevaleresques défenseurs de l’aristocratie. M. le prince Lichnowsky était dans les rangs de nos adversaires ; sa foi dans le droit divin des royautés n’est pas la foi du monde moderne ; représentant d’une société qui ne saurait revivre, invinciblement attaché aux traditions féodales, ce téméraire jeune homme aimait à lutter contre l’impossible. Nous l’aurions combattu assurément dans la session de 1847 ; depuis notre révolution de 1848, les choses sont bien changées ; en face de l’odieux despotisme de la démagogie, ne faut-il pas que les divisions s’effacent ? Le prince Lichnowsky a rendit de grands services et donné de mâles exemples à l’église Saint-Paul ; personne mieux que lui ne savait tenir tête à l’insolence de la gauche et aux furieuses clameurs de la galerie. Vaincu si souvent par son dédain et son audace, le parti démagogique, à la première occasion, s’est vengé avec rage ; les misérables qui l’ont tué, bien certainement, avaient plus d’une fois senti ; du haut de la galerie de Saint-Paul, les coups de cette intrépide éloquence. Auerswald et Lichnowsky ce n’est pas vous que je plains ; je plains votre patrie, déshonorée comme la France de juin, par d’effroyables forfaits !


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.