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c’est encore là ce qui le préoccupe aujourd’hui. M. Welcker reproche au projet de loi de faire une part trop petite aux cabinets de l’Allemagne. M. de Beckerath appartient au même parti ; mais, plus confiant que M. Welcker, il adhère complètement au projet de la commission. Le discours de M. de Beckerath fut un des événemens de la séance ; M. de Beckcrath est un des hommes les plus éminens qu’ait produits la session parlementaire de Berlin en 1847 : ame élevée, poétique, pleine de grace, intelligence claire et fine, M. de Beckerath a la réputation de conserver, au milieu des affaires les plus ardues, cette distinction supérieure qui est le caractère de son talent. Un habile publiciste[1] l’a comparé à M. Guillaume de Humboldt, à ce noble écrivain qui ne laissa jamais altérer, au milieu des embarras de la politique, la grace de son esprit et la sérénité de son ame.

Le triomphe du lendemain fut pour M. de Vincke. J’ai déjà dit que M. de Vincke est l’un des membres les plus brillans de la droite, avec le prince de Lichnowsky et le général de Radowitz. Il avait fait aussi, comme M. de Beckerath, comme M. de Lichnowsky, sa première éducation parlementaire à Berlin, dans la session de 1847. M. de Vincke était alors l’adversaire déclaré des tendances rétrogrades du gouvernement prussien ; rien n’était plus antipathique à cet esprit si sensé et si net que le mysticisme illibéral de Frédéric-Guillaume IV. Malgré son audacieuse opposition, M. de Vincke appartenait de cœur et d’ame à l’aristocratie ; sa famille est l’une des plus anciennes de la Westphalie, et quand ce fier gentilhomme défendait si bien les droits du peuple, ce n’était pas qu’il fût disposé à abandonner les siens. Esprit agile et militant, M. de Vincke se faisait gloire d’avoir choisi le vrai terrain, le terrain du droit (Rechtsboden). Tout son libéralisme était dans ce mot. « Mais s’il triomphe dans la lutte, écrivait il y a deux ans le publiciste que je viens de citer, si les légitimes exigences du peuple prussien sont remplies un jour, l’assemblée de Berlin verra M. de Vincke reprendre sa place au milieu de la noblesse et défendre les droits de sa classe. » Cette prédiction, qui dut surprendre beaucoup de lecteurs à la fin de 1847, au moment où le nom de Vincke jouissait d’une popularité immense, cette prédiction de M. Robert Haym s’est complètement réalisée au parlement de Francfort. M. de Vincke est un de ces talens supérieurs à qui bien des hardiesses sont permises ; armé d’une dialectique invincible et d’une ironie toujours prête, capable de s’élever par momens à la plus haute éloquence, M. de Vincke est aussi bien préparé que possible à tous les chocs d’une tumultueuse assemblée. Il osa donc attaquer résolûment le dogme de la souveraineté du peuple.

  1. Reden und Redner des ersten Preussischen vereinigten Lundtags, von Robert Haym.. Berlin, 1847. Page 261.