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sous une même bannière, toutes sous le drapeau rouge, noir et or. Cette charmante cité de Francfort, avec ses vieilles rues sombres et ses riches quartiers neufs, avec ses antique maisons recouvertes d’ardoises et ses rians boulevards garnis de villas italiennes, semblait s’être parée de ses meilleures richesses pour être le digne berceau de l’avenir. Quel est l’empereur qu’on va sacrer aujourd’hui ? À qui appartiendront la couronne d’or et la couronne de fer ? S’appellera-t-il Othon, Frédéric Barberousse, Rodolphe de Habsbourg ? En vérité, ces souvenirs du moyen-âge ne sont pas déplacés ici ; les imaginations allemandes, si promptes à se nourrir de songes, évoquaient involontairement les héros d’un autre âge, et déjà l’on croyait voir reparaître rehaussé par les progrès du monde moderne, cet empire du XIIIe siècle qui prétendait continuer les Césars. Il n’y a pas de croyance plus populaire que celle-là d’un bout de l’Allemagne à l’autre : philosophes et publicistes, poètes, peintres, statuaires, tous ceux qui, par la pensée ou par les arts, ont une action quelconque sur le peuple, tous ont contribué, depuis quarante ans, à éveiller, à entretenir ce patriotisme, le plus orgueilleux et le plus exigeant qui fût jamais. Depuis le profond et effrayant Hegel jusqu’au gracieux poète de la Souabe, depuis le constructeur de formules abstraites jusqu’au peintre de Munich ou de Dusseldorf, combien de talens divers se sont donné la tâche de glorifier la miraculeuse mission de l’Allemagne ! Tantôt c’est une philosophie de l’histoire qui supprime le christianisme, et ne voit dans le monde moderne que l’influence du sang et des idées germaniques : — signé du nom de Hegel ce système enthousiaste est bientôt reproduit par une innombrable phalange d’écrivains, et devient la foi de plusieurs millions d’hommes ; — tantôt ce sont des chansons populaires ou la gloire du vieil empire est célébrée comme l’idéal de la patrie : — une légion de trouvères s’est formée en Souabe pour continuer les chantres de la Wartbourg ; Uhland est l’héritier de Walther de Vogelweide, et l’homme du peuple qui répète ses lieder entretient confusément dans son esprit cette grande image de l’unité avec laquelle on lui promet tant de merveilles ; — tantôt enfin ce sont les arts, ce sont les statuaires et les peintres, qui font briller aux yeux dans les musées de Francfort, dans les palais de Munich et de Berlin, dans les magnifiques salles du Walhalla, les glorieux souvenirs de ces vieux temps, modèles retrouvés du grand avenir prédit aux races du Nord. Pendant près d’un demi-siècle, une nation tout entière s’est enivrée de ces espérances ; elle croit tenir aujourd’hui son rêve, elle croit posséder sa chimère : brillantes illusions qui vont se prolonger long-temps et ne se dissiperont qu’au bord des abîmes !

C’est à quatre heures de l’après-midi que les députés se réunirent à Saint-Paul ; environ quatre cents membres étaient présens au rendez-vous. L’assemblée, sous la présidence de son doyen d’âge, décide aussitôt