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l’autorité religieuse, la liberté de conscience et la liberté individuelle, et qui interdisaient au législateur de pénétrer dans le foyer domestique et de s’immiscer dans la vie privée, passaient les mers et s’implantaient en Amérique. Quelques-uns des colons eux-mêmes, dès le début, proclamaient pour leur propre compte la tolérance, et ce sera l’éternel honneur de Roger Williams, le fondateur de la colonie de Rhode-Island, d’avoir, dès 1631, déroulé tout entier, à ses risques et périls, en face de l’esprit sectaire du Massachusetts, l’étendard de la liberté religieuse. La charte qu’en 1663 Charles II octroyait à cette communauté au berceau était, sur ce point, d’un libéralisme dont s’honorerait à juste titre un législateur de nos jours. Lord Baltimore dans le Maryland, l’apôtre sincère de la fraternité, Penn, dans la Pensylvanie et une partie du New-Jersey, s’animaient aussi de ces nobles principes. Plus tard, la philosophie du XVIIIe siècle a rendu à l’Amérique, par les soins de publicistes et d’hommes d’état du midi, le service de donner une vigoureuse impulsion à la réforme de ce qui restait du système réglementaire et exclusif qui s’était greffé sur la lettre de la Bible. Cependant il en reste encore quelque chose, dans les idées surtout, et le peu de sympathie dont jouit le catholicisme auprès de l’opinion dominante, dans les principaux états la Nouvelle-Angleterre[1], en est la preuve trop insigne.

Aujourd’hui donc, d’une extrémité de l’Union à l’autre, ce n’est plus guère que par exception qu’on charge la loi de maintenir les pratiques religieuses, du garantir en détail les principes de morale qui servent de base à la société, à la famille, et par suite aux institutions libres, et de perpétuer par des prescriptions impératives les habitudes d’ordre, d’économie, de bonne conduite, par où se font jour ces principes dans la vie individuelle. Cette grande mission est confiée aux mœurs, et pour me servir des expressions de M. de Tocqueville, « j’entends ici l’expression de moeurs dans le sens qu’attachaient les anciens au mot mores. Non-seulement je l’applique aux mœurs proprement dites qu’on pourrait appeler les habitudes du cœur, mais aux différentes notions que possèdent les hommes, aux diverses opinions qui ont cours au milieu d’eux et à l’ensemble des idée dont se forment les habitudes de l’esprit. »

Au dernier degré de la juridiction des mœurs, il y a eu quelquefois comme un ressort extraordinaire, une sorte de secret tribunal des dix qui prononçait des arrêts foudroyans. Telle femme avait manqué scandaleusement à la foi conjugale : elle et son complice, saisis la nuit par des mains mystérieuses, étaient goudronnés et emplumés[2], et laissés dans ce piteux état sur la voie publique. Des joueurs de profession

  1. En dehors de la Nouvelle-Angleterre, le catholicisme a plus de faveur.
  2. Tarred and feathered.