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de l’autorité est requise ne durent pas en Amérique plus de semaines qu’il n’y faudrait d’années en France Pour éclaircir les idées, je prends un exemple

Voici un propriétaire qui est riverain d’un cours d’eau non flottable ni navigable. Il veut y établir un barrage, afin d’en détourner une partie sur son terrain. En Amérique, il le peut sans avoir un mot à dire, un signe à faire à une autorité quelconque. Supposons cependant qu’il y ait une permission à obtenir ; ce sera dans la commune tout au plus au chef-lieu du comté, qui a à peine la grandeur d’un de nos arrondissemens. La question se videra entre le propriétaire et un conseil municipal, ou un magistrat du comté. En cas de difficulté elle irait devant un tribunal ; dans le cas où l’autorité compétente opposerait une excessive lenteur, ce qu’on peut considérer comme un déni de justice, elle y pourrait être amenée de même. Chez nous, il faut mettre en mouvement une mécanique qui comprend huit fonctionnaires divers, le maire, le sous-préfet, le préfet et ses bureaux, l’ingénieur ordinaire des ponts-et-chaussées, l’ingénieur en chef, le ministre des travaux publics, le conseil de l’état, le chef de l’état. Il faut une enquête solennelle, non, il en faut deux. Il y a un formulaire minutieux auquel il ne faut pas manquer ; si on ne l’observe pas, ou si l’on ne s’y conforme dans le sens qu’imaginera le chef du bureau à Paris, le dossier retourne a son point de départ, en décrivant le même circuit. Contre l’inattention ou la paresse d’un maire, nul recours. Il lui plaît de conserver un dossier six mois, un an, tant pis pour vous. Il est connu qu’une petite affaire de ce genre ne dure jamais moins de plusieurs années, et remarquez que je vous parle d’un cours d’eau qui ne soit ni flottable ni navigable. Je connais un propriétaire qui fit sa demande au mois de mars 1844 ; au mois d’août 1848, il a reçu… l’autorisation, croyez-vous ? non pas, l’ordre de payer au receveur de l’enregistrement la somme de 468 francs pour les frais encourus jusqu’à ce jour. L’autorisation viendra quelque jour à ses enfans, non sans de nouveaux frais. La surface à arroser n’est pas de deux hectares ; combien d’années faudra-t-il pour que le produit de l’arrosage compense au propriétaire sa dépense et ses ennuis ?

Ce fait que je rapporte, et dont j’ai eu les preuves en main, n’est pas un accident ; c’est la vie du citoyen français. On assure qu’il est indispensable à la grandeur de la France et à l’ordre dans l’état qu’il y ait une centralisation. Je le crois, mais je veux savoir laquelle. L’administration des terres publiques aux États-Unis est centralisée à Washington ; elle l’est sans nuire à personne, sans gêner les citoyens dans L’exercice de la liberté, qui leur appartient, d’acquérir, en se conformant aux lois, des terres pour les cultiver. Elle ne sert pas de prétexte à une bureaucratie compliquée, minutieuse, paperassière. Pour justifier