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mêler avec les querelles de la restauration, qui ont laissé tant d’amertume dans l’ame des légitimistes de cette époque. Parmi les hommes de ces générations qui sont entrés dans la vie après 1830, il est incontestable que la majorité des jeunes gens instruits, sages, honnêtes, laborieux, s’était ralliée au régime constitutionnel : en choisissant leur parti, ils ne subissaient l’influence d’aucun antécédent d’intérêt, de passion, de fidélité : ils obéissaient simplement aux dictées de leur raison et de leur patriotisme. Ils voyaient devant eux des institutions établies, un gouvernement organisé, — au-dessous une société qui avait besoin d’ordre pour guérir ses blessures, une société libre, prospère, qui semblait ne demander que de la paix et de la sécurité pour continuer ses développemens et réaliser tous les progrès. Ils voyaient l’ordre, la paix, la sécurité menacés par des républicains et des socialistes qui brûlaient de faire subir à la France de cruels déchiremens et d’effrayantes épreuves. En honneur et en conscience, que devaient-ils faire ? Fallait-il rester à l’écart, déserter la cause des institutions et du gouvernement chargés de défendre la société, se désintéresser des affaires de son pays, se borner à prévoir, à souhaiter peut-être, à laisser du moins s’accomplir le naufrage de la société, dans le morose espoir qu’un principe incertain ressusciterait au-dessus du cataclysme ? Non, pour l’honneur de l’élite de la jeunesse française, elle n’a point choisi cette lâche et chagrine inertie. Dans l’armée, dans l’administration, dans la politique, elle s’est associée modestement, laborieusement et consciencieusement au régime libéral et conservateur de 1830.

Notre lot à nous, enfant de cette génération, a été, je le sais, triste et sévère. Nous n’avons pas eu pour nous les ardeurs de l’enthousiasme, l’éclat des aventures, les grandes prouesses du talent, les fanfares de la popularité, si douces aux jeunes cœurs. Nous n’avons connu que les devoirs obscurs, les services arides, la muette discipline des carrières sérieuses et des fonctions inférieures. Nous n’avions pas même, si j’ose le dire, le bénéfice de nos vertus. Aux yeux mêmes de ceux que nous servions, notre modestie passait pour médiocrité d’esprit, notre dévouement quelquefois pour ambition vulgaire. Un de nos hommes d’état dont la jeunesse a été des plus brillantes sous la restauration me disait, peu d’années avant la révolution de février, en se plaignant de la stérilité de notre époque en jeunes renommées : « Les jeunes gens de votre temps sont très estimables ; ils ont des qualités solides. Ce sont d’excellens sous-préfets. » Je me souviens de l’étonnement naïf que témoignait devant moi un de nos orateurs les plus éloquens en parlant à un très jeune écrivain qui défendait le dernier ministère de la monarchie de juillet. Il n’en revenait pas. « Vous voulez donc être préfet ? » lui dit-il avec assez d’impertinence. Hélas ! l’écrivain n’est que trop vengé aujourd’hui. Le grand orateur, et ce