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au soleil couchant, il y a un moment de la jeunesse où cette vue donne la fièvre, où, lorsqu’on a pris la liberté de penser tout ce qu’on veut, on veut en effet jouir de soi-même et de ses désirs. Il y a dans l’existence des classes inférieures un moment où le spectacle des délices matérielles les rend folles, où elles aussi elles prennent la liberté de penser ce qu’elles veulent, où, croyant avoir le droit de ne se rien refuser, elles veulent pareillement tenir tous les biens et les goûtent par avance.

J’ai lu des pages dans Léonie Vermont où cette corruption qui veut envahir les classes populaires et la tentation exercée sur elles par le Satan démocratique sont peintes avec beaucoup de finesse et d’énergie : c’est la scène où Fernand et un Anglais de ses amis entendent, dans un restaurant de Saint-Cloud, la conversation de l’ouvrier représentant du peuple, qui dépeint la fascination invincible et énervante exercée sur lui par les délices du monde supérieur dans lequel l’a un moment introduit sa soudaine élévation. Telle est la corruption par où finissent les civilisations usées, mais celle-la, à qui l’imputer ? quels sont aujourd’hui la classe et le parti qui n’y ont point contribué ? Il n’y a qu’un moyen de combattre cette infatuation d’orgueil et de révolte et l’ivresse sensuelle qu’elle allume, c’est le respect pratique de l’autorité, le culte des idées d’ordre et de hiérarchie. Si le parti légitimiste a une valeur réelle, une force, un prestige encore dans ce pays, c’est parce qu’il paraît devoir être le dépositaire le plus naturel des traditions hiérarchiques et du respect qui unit par un lien anobli l’obéissance à l’autorité. Il est malheureusement certain cependant que, durant dix-huit ans, la portion militante du parti légitimiste a été infidèle à cette haute vocation. Pendant dix-huit ans, autant que les vices du temps le leur ont permis, les hommes qui ont été à la tête du gouvernement de 1830 ont travaillé avec ardeur à relever ce qui restait encore en France du principe d’autorité ; pendant dix-huit ans, ils se sont efforcés, quoi qu’en puissent dire d’aveugles ennemis, avec un courage et un talent que l’histoire admirera, d’opposer une dernière digue morale à l’esprit de révolte et de destruction ; pendant dix-huit ans, le parti légitimiste leur a fait une guerre révolutionnaire. Dans les ruines que la révolution de février a montrées d’un rapide éclair semées sur la France, le parti légitimiste peut s’attribuer une large part. Défenseur de l’autorité en théorie, dans la pratique, le parti légitimiste n’a cessé de lui porter les coups les plus violens. Il n’a pas compris qu’aujourd’hui plus que jamais le pouvoir doit être fortifié par des exemples et par des actes ; il a méconnu cette haute responsabilité sociale qui, suivant ses doctrines traditionnelles, investit le pouvoir, non pas un pouvoir idéal et abstrait, mais le pouvoir existant, d’un caractère sacré ; il a jeté tous les jours au pouvoir