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veut pousser son fils, et une noble dame qui s’intéresse à un noble jeune homme, dont le but est le poste diplomatique recherché par Fernand de Briancour. L’influence du député l’emporte, et cela paraît fort immoral à l’auteur de Léonie Vermont. Ici il y a plusieurs choses à remarquer. D’abord, comme le disait énergiquement un écrivain du XVIe siècle, « les places se sont toujours données à l’appétit. » En second lieu tant que nous aurons des institutions représentatives, c’est-à-dire tant qu’une influence politique supérieure pèsera d’une assemblée sur l’administration, il est mathématiquement inévitable que le choix des fonctionnaires ne dépende de ceux qui posséderont cette influence. Les révolutions ne feront rien à cela ; la république n’y a rien changé. On ne se plaint de cet arrangement des choses, on ne réclame contre cet usage naturel des influences que lorsqu’on n’a pas de sujets de récrimination plus sérieux, et que le pays s’ennuie, comme disait M. de Lamartine ; mais aujourd’hui M. de Lamartine nous a procuré de l’amusement, et comme au surplus on a fait assez récemment la curée des places, on ne se récrie pas encore contre l’action des députés, on ne déclame pas encore contre la corruption. Troisièmement enfin, tant que la distribution des emplois sera confiée à des hommes, il est impossible que cette combinaison de relations personnelles, de goûts réciproques, d’intérêts communs que les mécontens appellent faveur ou corruption, n’y ait un poids décisif. Mon Dieu ! les solliciteurs pousseront toujours l’enchère à la façon des plaideurs de Racine :

— Monsieur, je suis cousin de l’un de vos neveux.
— Monsieur, je suis bâtard de votre apothicaire.

L’auteur de Léonie Vermont paraît préférer l’influence des femmes à celle des députés ; je ne l’en blâme point. Je reconnais qu’il y a eu des temps où les femmes ont été plus influentes que sous le règne de Louis-Philippe, sous la restauration par exemple, sous l’ancien régime, sous le directoire aussi. Que l’auteur de Léonie Vermont y prenne garde cependant ; cette influence aussi était appelée corruption, corruption souvent plus immorale que l’autre, je suppose. On s’en est plaint dans tous les temps, témoin ces paroles que je trouve, dans les Commentaires de Blaise de Montluc ; le vieux capitaine gascon les adressait à Charles IX : « Je voy que le premier qui vous demande un gouvernement de quelque place, une compagnie de gens-d’armes ou gens du pied, un estat de maistre de camp, sans considérer quelle perte et quel dommage peut advenir à vostre royaume et à vostre personne propre ; facilement vous l’accordez, voire mesme à la requeste de la première dame qui vous en prie et qui vous aura peut-estre entretenu le soir au bal ; car, quelques affaires qu’il y ait, il faut que ce bal trotte. Sire, elles n’ont que trop de crédit dans vostre cour. »