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plaisir. Je l’ai trouvé vieilli, moins pourtant que je ne craignais. Du reste, la même conversation, vive, piquante, originale, la même imagination, la même verve, le même enthousiasme. » Moins d’un an après, le 4 mai 1824, M. Joubert mourait, et cette amitié, non pas refroidie, mais raréfiée par l’absence, passait, pour Chênedollé, à l’état de culte et de souvenir.


VIII. – LIAISON AVEC FONTANES.

Avec Fontanes, la liaison commença moins vivement, mais elle resta très serrée jusqu’à la fin. Les lettres de Fontanes sont plus brèves, moins onctueuses que celles de Joubert. On sent que c’est un homme plus pressé qui écrit. Ainsi, à propos de la négociation avec Michaud :


À M. de Chênedollé, à Vire.

« 23 juillet 1803.

« C’est Virgile qui m’ordonnait de vous désigner, monsieur, puisqu’il faut joindre le goût à l’instruction pour le bien commenter. Il est juste qu’un poète soit enfin chargé de ce travail, abandonné tant de fois à d’obscurs pédans. Vous n’avez nul besoin de mes conseils, mais je lirai volontiers Virgile avec vous. Venez. Nous l’admirerons ensemble. J’ai écrit à M. Michaud. Il ne m’a point encore répondu ; mais j’espère qu’il fera tout ce que vous désirez. Rien n’est plus juste.

« Je vous renouvelle les assurances de mon attachement,

« FONTANES. »

(A Neuilly, chez madame Bacciochi[1].)

Au même.

« Jeudi, 5 janvier 1804.

« Il y a long-temps, monsieur, que je vous dois une réponse. Mille embarras divers occupent la journée dans le maudit pays que j’habite, et les mois se passent sans qu’on ait rien fait de ce qu’on désire le plus. J’envie quelquefois votre sort. Vous êtes maître de vos heures de loisir et de travail. Vous disposez de votre temps comme il vous plaît. La solitude remplie par votre imagination vaut bien mieux que Paris. Cependant je fais des vœux contre votre repos. Je voudrais vous revoir ici. J’espère que notre ami de Rome[2] reviendra en France avant de se fixer en Suisse, où le place le gouvernement. Il me serait doux de vous retrouver ensemble. J’ai eu le plaisir de tromper la malveillance qui poursuivait notre ami. Son nouveau poste lui convient. Le voisinage de la France, la vue des Alpes et un chalet avec 12,000 livres de rente peuvent suffire au bonheur d’un poète et d’un sage. Ajoutez-y l’avantage de n’avoir rien à faire et nul objet de dépense. J’espère que le poète et le sage seront contens. J’ai plaint vivement sa situation, quand cette aimable et malheureuse femme a perdu la vie.

  1. La sœur aînée du premier consul, et la grande liaison de Fontanes à ce moment.
  2. Chateaubriand.