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et que je vous répondrai sur-le-champ. Au revoir, et, en attendant, adieu. »

La lettre suivante se rapporte à la grosse affaire que se fit M. de Chateaubriand pour son article du Mercure sur le Voyage d’Espagne de M. de Laborde (4 juillet 1807) ; il en résulta toute une révolution dans la presse d’alors, et M. Joubert la raconte à ravir sans faire les choses plus grosses qu’elles ne le furent en effet.


À M. de Chênnedollè, à Vire.

Paris, 1er septembre 1807.

« Je fis trembler votre portière par mes jurons tempétueux, un beau jour que j’allois vous voir et que j’appris par elle votre départ précipité. Il n’y a pas moyen de s’habituer à garder son sang-froid quand on vous perd de cette manière imprévue. Une autre fois, faites-nous signe au moins que vous voulez vous en aller.

« Chateaubriand est en colère d’avoir été ainsi quitté. Mme de Chateaubriand prétend que vous n’êtes que disparu. Elle croit vous avoir vu à je ne sais combien de messes dans l’église Saint-Roch, tant votre image la préoccupe jusques au pied des saints autels ! M. de La Tresne est venu se plaindre au mari et à la femme de vous avoir tellement absorbé par vos assiduités chez eux, qu’il ne vous avoit presque pas vu pendant votre séjour ici. Grande rumeur dans la maison où vous étiez si peu venu ; grandes enquêtes pour découvrir où vous alliez. Vous voyez de combien il s’en faut que vous soyez indifférent à vos anciens et à vos nouveaux amis. C’est à qui se plaindra de ne plus vous voir ou de vous avoir trop peu vu.

« Écrivez à Chateaubriand, à qui j’avois annoncé une lettre de vous, et qui n’en a pas reçu, ce qui le fâche passablement.

« Le pauvre garçon a eu pour sa part d’assez grièves tribulations. L’article qui m’avoit tant mis en colère[1] a resté quelque temps suspendu sur sa tête ; mais à la fin le tonnerre a grondé, le nuage a crevé, et la foudre en propre personne a dit à Fontanes que, si son ami recommençoit, il seroit frappé. Tout cela a été vif et même violent, mais court. Aujourd’hui tout est apaisé ; seulement on a grelé sur le Mercure, qui a pour censeur M. Legouvé, et pour coopérateurs payés, dit-on, par le gouvernement, M. Lacretelle aîné, Esménard et le chevalier de Boufflers. Il paroît que les anciens écrivains de ce journal peuvent aussi y travailler si bon leur semble. Quelque dégât a été fait aussi sur les autres journaux. M. Fiévée a été remplacé aux Débats par un M. Étienne[2], M. de Lacretelle au Publiciste par un M. Jouy. M. Esménard même a eu un successeur

  1. L’article du Mercure, où est la brusque sortie contre Néron : « C’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’empire, etc., etc, » C’était le moment de Tilsit.
  2. Je demande pardon de reproduire la désignation irrévérente ; mais il faut remarquer, d’une part, que M. Joubert était un peu aristocratique d’esprit, et de l’autre, que ces messieurs n’avaient point encore pris dans les lettres le rang distingué qu’ils eurent bientôt.