« Notre chambre est toujours à votre service et même tout l’appartement, car le chargé d’affaires n’en a pas voulu. Nous ne partirons d’ici qu’au mois d’avril.
« Nous ignorons encore s’il partira et comment il partira. Nous ne prendrons nos dernières résolutions que lorsqu’il aura pris les siennes.
« Peut-être est-ce une chose faite et vous a-t-il déjà mandé, comme il en avoit le projet.
« Quelque parti qu’il prenne et en quelque lieu que vous soyez, demeurez persuadé que je vous désirerai souvent partout où je serai moi-même.
« L’esprit, la raison, la réflexion et le talent sont des choses dont la réunion est plus rare qu’on ne croit. J’en sens le prix de plus en plus, et, depuis que j’ai perdu Mme de Beaumont, je ne vois plus à qui et avec qui je pourrai parler dans le monde. Je voudrois bien que vous eussiez quelque grand intérêt à nous rester.
« La pauvre société dissoute ne vous oublie point, malgré son éparpillement. M. Pasquier, entre autres, me parle de vous toutes les fois qu’il m’écrit. Portez-vous bien et puissé-je vous revoir bientôt ! »
« Villeneuve-sur-Yonne, mardi 20 mars 1804.
« Comme vous pourriez croire que nous avons eu de vos nouvelles par la lettre que vous avez adressée ici à Chateaubriand, je vous avertis qu’il n’en est rien.
« Chateaubriand est encore à Paris, et nous lui avons renvoyé votre missive à son Hôtel de France, rue de Beaune. Nous n’avons point de ses nouvelles, et mon frère même, qui court après lui sans pouvoir le joindre depuis dix jours, n’a pu rien savoir et rien nous apprendre de ses affaires. Il devoit partir ; il n’est pas parti, et nous ne savons plus s’il partira, et comment et quand il pourra partir. Il nous paroit qu’à cet égard lui-même en sait aussi peu que nous.
« Son dessein le plus arrêté est de vous appeler auprès de lui partout où il ira ; mais, s’il n’a que sa Suisse, je ne vois pas à quoi cela vous conduira, en mettant de côté le plaisir de vivre quelque temps ensemble, qui, je l’avoue, me paroît pour l’un et pour l’autre d’un tel prix que vous ne pouvez l’un et l’autre l’acheter trop cher.
« Si cependant quelque raison de prudence vous obligeoit à consulter vos intérêts plus que vos sentimens, et à avoir d’autres vues que les satisfactions de votre cœur et de votre esprit, faites-moi part de vos projets, si vous jugez qu’il me soit possible de vous y servir. Fontanes, qui est une puissance, a une volonté d’obliger qui n’est pas suffisante pour le remuer, mais qui, avec un peu d’aide, agit pourtant, car, dans son inertie, elle est existante et constante[1].
« Je vous prie de me regarder comme un homme qui se fera un plaisir et un devoir de se remuer pour vous autant qu’il le pourra. L’opinion que j’ai de votre mérite et de votre personne est une cause nécessaire d’un pareil effet.
« Je ne vous demande votre confiance qu’autant que j’en aurai besoin pour
- ↑ On pénètre jusque dans les légers défauts de ces excellens hommes, mais on y entre doucement à la suite de l’amitié.