Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les métaphysiciens ont quelquefois représenté la logique comme une sorte de mathématique universelle, antérieure à toutes les autres sciences, supérieure à toutes, faite pour les gouverner, parce que, seule, elle serait digne de cette domination souveraine. En cette assertion gît une erreur fondamentale qu’il n’est pas inutile de signaler. L’esprit humain ne renferme rien de plus que l’aptitude logique ; tout ce qui est au-delà lui provient de l’application de cette faculté à l’étude des phénomènes objectifs. S’il y avait dans l’esprit autre chose, toutes les sciences seraient purement et simplement déductives, sans l’intermédiaire d’une base expérimentale ; or, aucune science n’est déductive de cette façon, pas même les mathématiques, qui le sont le plus de toutes, mais qui cependant reposent sur un petit nombre de données fournies par l’expérience. Les métaphysiciens ne se sont jamais rendu un compte bien exact de ce qu’ils entendent par cette mathématique universelle. Toutefois, en soumettant leur idée, toute vague qu’elle est, au contrôle que fournit la comparaison des sciences positives, on reconnaît que cette mathématique universelle, si elle existait, ne serait rien autre chose qu’un ou plusieurs principes résidant dans l’intelligence et qui donneraient une déduction indéfinie pour toutes les sciences, comme les rares axiomes, fruit de l’expérience, la donnent à la géométrie. Cette mathématique universelle n’est, on le voit, qu’une dernière transformation des archétypes platoniciens ; c’est toujours une spéculation qui prétend, non faire jaillir la science du contact de l’intelligence avec l’expérience, mais la faire remonter à des sources imaginaires, à des réminiscences, à des principes innés. La stérilité croissante d’une telle manière de philosopher, au fur et à mesure que l’esprit humain s’éloigne des antiques conditions de son développement, est la meilleure preuve que cette voie est devenue mauvaise, comme aussi la fécondité croissante de l’autre manière de philosopher est la meilleure preuve de sa supériorité. Chercher dans l’intelligence un ou plusieurs principes qui seront la logique et qui constitueront le point de départ de toute science, telle est la chimère poursuivie par la métaphysique, car ces principes n’y sont pas. Prendre l’aptitude logique dans l’opération par laquelle elle s’applique aux phénomènes, telle est la réalité qu’étudie la philosophie positive ; car, ainsi que nous allons le voir de ce conflit résultent des méthodes dont l’ensemble compose, suivant l’heureuse expression de M. Auguste Comte, le pouvoir de démonstration de l’esprit humain.


V. – ÉVOLUTION HISTORIQUE DES SCIENCES POSITIVES.

Ce n’est point au hasard et dans un ordre arbitraire que les sciences se sont formées. Elles se suivent l’une l’autre, quant à leur naissance, d’après une loi qu’on peut ainsi exprimer : une science est d’autant