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Bethlem Gabor, de Bathory, de Toekély, de Ràkoczy, s’éteignirent dans la mémoire de l’Occident ; ils ne retentirent plus hors de ce rempart de montagnes où s’enferme la Transylvanie, mais là ils restèrent comme les souvenirs les plus chers du courage et de l’indépendance nationale.

L’insurrection des Hongrois, et tout récemment l’intervention des Russes en Transylvanie, ont, après plus d’un siècle d’intervalle, rappelé l’attention sur cette contrée ; mais, plus encore qu’au temps de Bethlem Niklos, la Transylvanie reste cachée pour nous derrière ces vastes forêts des temps reculés qui lui valurent son nom (trans sylvas). Elle n’est sur aucune des grandes routes politiques ou commerciales du monde. Les lignes des opérations militaires semblent s’écarter d’elle et devoir en écarter aussi la guerre et ses fléaux. Quand la Russie s’avance vers Constantinople, ce sont les principautés et Bucharest qui lui servent d’étapes ; de Vienne à Andrinople, la route directe est par Belgrade et la Servie. La navigation du Danube, qui a ouvert la Hongrie aux spéculations du commerce et à la curiosité européenne, n’a pas eu pour la Transylvanie les mêmes résultats. À Orschowa, dernière forteresse de la Hongrie, vis-à-vis la frontière turque, le fleuve, qui depuis Belgrade se dirigeait de l’ouest à l’est, rencontrant les derniers contre-forts des monts Karpathes, se détourne tout à coup vers le sud et emporte loin de la Transylvanie, à travers les plaines basses et noyées de la Valachie, les bateaux à vapeur, les marchandises et les voyageurs de l’Occident.

Toutefois, de ce que la Transylvanie n’est sur le chemin de personne, il faut se garder de conclure qu’elle n’a pas tenu une place importante dans les questions européennes ; l’histoire du passé prouve le contraire. De tout temps, on s’est disputé avec acharnement la possession de ce pays. Sans remonter à Trajan et aux guerres contre les Daces, nous le voyons au moyen-âge servir de champ de bataille à tous les puissans empires au milieu desquels il est placé. Les Polonais, les Tartares, les Hongrois, les Turcs et les impériaux ont tour à tour envahi ce coin de terre ; partout restent les traces ou les souvenirs des luttes et des combats des âges passés. Les Allemands, en appelant la Transylvanie le pays des sept forteresses (Siebenbürgen)[1], ont rendu témoignage du rôle qu’elle a joué dans toutes les rencontres des peuples de l’Orient et du centre de l’Europe. La nature même semble lui avoir assigné ce rôle.

C’est une sorte de citadelle immense, enceinte de montagnes, qu’aucune armée ne peut laisser impunément derrière elle. Elle n’est point, nous l’avons dit, placée sur les grandes lignes militaires, mais il faut

  1. On fait aussi venir ce nom des sept chefs hongrois qui conquirent le pays, ou des sept villes fondées au pays des Saxons lors de la colonisation allemande.