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demeurait, pour ainsi dire, en l’air depuis que le moyen-âge en avait enlevé les étais réalistes. Pour cette entreprise, il se confiait en la loyauté de ses intentions et en sa force de reconstruction ; mais il obéissait, lui aussi, sans le savoir, à la condition de son temps, car n’est-il pas évident que si Descartes a fait la tentative, c’est que le nominalisée scolastique avait fait son œuvre ? Et si, par impossible, un esprit eût conçu, avant le temps voulu, la table rase de Descartes, cette opération critique n’aurait pas réussi, et aurait dû être reprise à une époque mieux préparée, vu qu’elle aurait trouvé toutes les intelligences hérissées d’entités préjudicielles et obstruées de toutes parts.

De la célèbre formule : Je pense, donc je suis, Descartes tira tout ce monde de notions qu’il avait frappé d’une suspicion générale et d’une déchéance dubitative ; mais cela même qu’il produisit, que fut-ce, sinon un monde désormais manifestement subjectif ? Au lieu de ce monde réel et palpable que supposaient les croyances primitives, que donna-t-il, sinon des conceptions idéales qui, en définitive, ne reposaient que sur une argumentation plus ou moins concluante ? Nul n’a marqué mieux que Descartes involontairement sans doute, mais d’autant plus efficacement, la limite où vient expirer le réalisme antique. Il n’y aura plus de méprise possible. Toutes les intelligences modernes sauront dorénavant que ce n’est pas au dehors d’elles, comme l’avaient cru les intelligences nos aïeules, qu’il faut demander la preuve des existences cherchées, mais que c’est au dedans, et dès-lors aussi elles sauront qu’entre la négation et l’affirmation il n’y a qu’un argument. Cet argument parut tellement décisif à Descartes, qu’il le crut l’équivalent de la foi spontanée des époques antérieures. Cependant voici venir (et cela tarde peu), voici venir un penseur qui, placé en dehors des préoccupations de Descartes, soupèse l’argument et le trouve léger. Kant n’a pas de peine à établir que la démonstration de Descartes n’en est pas une. À son tour, le philosophe allemand veut s’arrêter sur cette pente, et, ne pouvant plus invoquer la raison, il invoque l’utilité ; mais les temps s’accomplissaient, et toute la métaphysique vint définitivement chavirer dans le panthéisme moderne de l’Allemagne.

En cette revue rapide de la métaphysique ou philosophie préparatoire, deux points sont à signaler : c’est que ni la logique n’a pu avancer en rien la métaphysique, ni celle-ci celle-là ; toutes deux n’ont jamais eu qu’une action négative ; dans la voie positive, elles se sont constamment tenues en échec.

Si Pergame, dit le héros troyen, avait pu être sauvé, il l’eût été par ce bras ; si la logique avait eu aucun moyen de développer la métaphysique, c’est dans le moyen-âge qu’elle aurait obtenu ce succès. Alors l’argumentation syllogistique n’eut pas de bornes ; des intelligences subtiles et opiniâtres tendirent de toutes parts leurs rets scolastiques pour saisir l’invisible vérité, mais elles ne l’atteignirent pas, et, disons-le