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une dépêche du ministre de l’intérieur. M. Léon Faucher n’a pas voulu supporter ce blâme immérité, et il s’est retiré. Ce n’était pas la première fois que le ministère avait reçu un échec à la chambre ; mais cette fois ce n’était pas le ministère tout entier qui était battu, c’était un seul ministre, et il était battu non-seulement par ses adversaires, mais par ses amis. C’est là ce qui a décidé M. Faucher à donner sa démission. Le ministère, en effet, n’était pas tenu d’avoir la majorité dans l’assemblée ; il n’était pas tenu de plaire à des mourans, ce qui est difficile. Les échecs du ministère ne comptaient donc pas, mais à une condition, c’est que ces échecs étaient communs à tout le ministère : une fois qu’ils étaient particuliers à un ministre seul, et que le ministère tout entier et le parti modéré ne les prenaient pas à leur compte, une fois que la communauté était rompue, le ministre délaissé ne pouvait plus garder le pouvoir. Nous regrettons, pour notre part, que M. Léon Faucher ait été forcé de prendre le parti qu’il a pris ; nous ne pouvons pas oublier le courage et la fermeté qu’il a montrés pendant son ministère. Il a renouvelé l’administration départementale, il l’a relevée de son abattement moral et politique, il a lutté avec énergie contre les factions. Ce sont là des services. M. Léon Faucher savait, il est vrai, les services qu’il rendait : est-ce un tort ? Il mesurait l’idée qu’il avait de lui-même aux difficultés qu’il savait avoir surmontées, aux périls qu’il savait avoir vaincus : est-ce un défaut ? Oui, car il faut qu’un ministre soit à la fois hardi et modeste, ferme et doux, décisifs et réservé, parfait enfin. J’ai toujours vu les majorités ministérielles reprendre par la médisance ce qu’elles donnaient par la confiance.

Peut-être sommes-nous trop favorables à M. Faucher ; c’est qu’après tout, nous serions tentés de croire que, dans cette occasion, M. Faucher a péri parce qu’il fallait un holocauste à la divinité expirante de l’assemblée constituante. Songez aux orages qui grondaient autour du ministre depuis la lettre du président et l’ordre du jour du général Changarnier. Certes, si le général Changarnier eût pu être l’holocauste, cela eût accommodé bien des gens ; mais les gens d’épée n’ont pas de vocation naturelle pour le martyre. En se détournant de la tête du général Changarnier, la foudre parlementaire a rencontré celle de M. Léon Faucher, et il a péri comme étant parmi les hommes du gouvernement le plus raide de ceux qui ne sont pas militaires.

L’abandon de M. Faucher a été la première faiblesse du parti modéré. La panique qui a suivi le dépouillement du scrutin à Paris a été la seconde faiblesse. Avec la furie française que nous mettons dans nos chagrins comme dans nos joies, nous avons changé un désappointement en consternation. Nous sommes tombés de haut, je le sais, nous sommes tombés du haut de nos espérances ; mais, parce que nous espérions trop, est-ce à dire qu’il ne nous reste pas encore de quoi être contens ?

Nous avons partagé, nous l’avouons, les illusions du parti modéré ; mais ces illusions ont eu des causes différentes. Nous dirons franchement la cause des nôtres : nous espérions beaucoup, parce que nous avons foi dans le bon sens du pays, et que nous pensions que l’expérience du gouvernement provisoire avait dû éclairer tout le monde sur le mérite des promesses de la démagogie. C’est sur ce point que nous nous trompions ; nous avions oublié un mot profondément vrai de M. de Lafayette : c’est que dans les gouvernemens démocra-