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été d’abord un progrès, puis un exercice pour l’esprit, lui devenaient de plus en plus inacceptables et de plus en plus oppressives. C’est sur ce terrain que s’engagea la grande guerre intellectuelle du moyen-âge. Elle fut longue et acharnée : longue, car il fallait lutter contre des habitudes mentales qui dataient de loin et s’étaient enracinées ; acharnée, car l’esprit conservateur sentait instinctivement que la chute de ces entités ébranlait des croyances que l’esprit critique compromettait sans le savoir et sans le vouloir ; mais enfin le résultat fut décisif, et, quand il fut obtenu (ce qui coïncide presque avec la fin du moyen-âge), le nominalisme avait pris un empire incontestable et créé d’autres habitudes mentales particulièrement favorables au développement des sciences modernes qui commençaient à poindre.

Là s’arrête le rôle social du syllogisme. Je ne crains pas de rapprocher ces deux mots, et plus on y réfléchira, plus on sentira que cette forme, aujourd’hui jugée si stérile, a été, à son temps, pleine de vie, de force et d’activité. Ce ne fut pas une vaine occupation que celle qui captiva pendant des siècles les esprits les plus éclairés ; ce ne fut pas une vaine ardeur que celle qui emportait la jeunesse occidentale aux bruyantes leçons des écoles parisiennes. Sans doute on dira que les questions agitées étaient imaginaires, et qu’il importait peu de savoir de quelle façon les universaux et les genres se comportaient par rapport aux individus et aux espèces. Une saine théorie de l’histoire ne permet pas d’accepter un jugement aussi superficiel, car, en appréciant ainsi les opinions et les doctrines, on ne tient compte que de l’avenir sans tenir compte du passé ; toute opinion, toute doctrine qui a figuré dans l’histoire est, par rapport à ce qui la précède, une avance ; par rapport à ce qui la suit, un retard. Certes, quand l’esprit humain en vint à poser comme des conceptions, imaginaires sans doute, mais distinctes et nettes, les universaux et les genres, il avait fait un grand pas hors de la simplicité primitive qui s’était figuré tant et de si grossières entités ; et, quand il fallut savoir si ces créations spontanées, qui avaient eu leur vérité transitoire, étaient quelque chose d’objectif, il y eut rude et long labeur à renvoyer dans le pays des chimères ces fées métaphysiques qui hantaient les écoles et ne les voulaient pas quitter. Et d’ailleurs est-il besoin de remonter jusqu’au moyen-âge pour trouver un exemple de ces quiddités qui paraissent désormais si futiles ? N’avons-nous pas à côté de nous, dans des sciences déjà fort avancées, des quiddités qui ne valent pas mieux, et qui, signalées ici, montreront tout à la fois comment de pareilles conceptions sont un moment utiles, puis, le moment d’après, ne font plus qu’embarrasser la voie et jeter un nuage sur la véritable conception des choses ? Qu’est-ce que le fluide électrique, sinon un fluide imaginaire ? Qu’est-ce que l’éther lumineux ou les particules lumineuses, sinon un éther ou