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préférence le suffrage universel avait manifestée cette fois, dans l’un comme dans l’autre camp, pour les opinions bien tranchées et les caractères bien connus. Là où il s’est montré intelligent des dangers publics, il a été chercher, sans hésiter, parmi les vétérans de la vie politique ceux dont la conduite passée avait fait preuve de décision et d’énergie. Les noms qui effrayaient la timidité de certaines opinions moyennes sont au contraire ceux qui, par leur éclat, ont agi le plus efficacement sur l’esprit simple des masses. La majorité de l’assemblée comptera dans son sein, à quelques exceptions près qui sont dans toutes les bouches et que nous espérons ne pas regretter toujours, les serviteurs les plus éminens des deux monarchies passées. En les mettant côte à côte sur les mêmes bancs et le plus souvent sur les mêmes listes, en oubliant leurs torts communs, le corps électoral a voulu sans doute leur donner l’exemple d’oublier aussi leurs griefs réciproques. Il n’a vu qu’une seule chose : leur dévouement aux principes sociaux et la fermeté qu’à des époques et sous des drapeaux différens ils avaient déployée pour les défendre. En revanche, là où l’entraînement révolutionnaire s’est emparé des populations, aucun excès de langage, aucun dévergondage d’imagination ne les a fait reculer. Ni le danger de désorganiser devant l’étranger menaçant les rangs de notre belle armée et d’humilier la dignité du commandement, ni la crainte de dégrader les annales de notre histoire par les monumens d’une brutale ignorance, ni le cynisme des provocations sanguinaires, rien n’a arrêté l’expression de leurs instincts égarés. De ces deux mouvemens en sens contraire, impétueux et francs l’un et l’autre comme tout ce qui est populaire, doit sortir l’assemblée la plus distinctement tranchée en deux partis dont les fastes parlementaires aient jamais fait mention. Tout différera, on le voit déjà, entre les bancs opposés de cette chambre nouvelle, à commencer par le langage et par l’aspect extérieur. La société comptera ses meilleurs défenseurs pour faire tête à ses plus farouches assaillans. Nous aurons, d’un côté, beaucoup de renommée, et de l’autre, faute de mieux, au moins beaucoup de bruit. Nous nous en applaudissons pour notre part : si la France a quelque sentiment et quelque mémoire d’elle-même, nous verrons bien dans lequel de ces deux miroirs il lui plaît de se regarder pour se reconnaître.

Mais cela même indique à la majorité de l’assemblée la seule ligne de conduite qui soit ouverte devant elle. Dire que le jour des transactions bâtardes entre l’ordre et le désordre est passé, c’est dire aussi que le temps des partis énergiques est venu. Le sort de l’assemblée qui vient de finir est instructif. Elle a eu deux phases bien différentes. Dans la première, elle a défendu l’ordre compromis, mais elle l’a toujours défendu à la dernière heure et aux moindres frais de répression possible, se laissant pousser, presser par l’opinion et les événemens, et ne