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a reconnu dans ce Siger, que tous les commentateurs de l’Homère italien avaient abandonné, un docteur scolastique qui professa à Paris dans la rue du Fouarre et que Dante avait sans doute entendu ; mais, tout en jetant un jour nouveau sur ce personnage placé par un contemporain à côté d’Albert de Cologne et de saint Thomas d’Aquin, il n’a pu nous apprendre quels étaient ces invidiosi veri, ces discours dont on lui porte envie. En tout cas, ce qui est dit de Siger peut être pris dans un sens plus général et appliqué au syllogisme lui-même, tel que l’entendit et le pratiqua la scolastique. Le syllogisme ruina définitivement le réalisme ; or, quiconque a étudié, soit le développement de l’esprit humain, soit l’histoire de la métaphysique, sait que le réalisme est un de ces fantômes qui gardaient les avenues de la science positive comme les fantômes du Tasse gardaient le chemin de la forêt.

Avec deux livres pour point de départ de l’argumentation, avec le fond reçu de la société gréco-romaine, avec l’esprit d’entreprise et de recherche qui créait l’alchimie, introduisait la boussole, la poudre à canon, le papier, les acides puissans, l’alcool, avec ces écoles ardentes où toute l’Europe se donnait rendez-vous, le moyen-âge ouvrit une discussion philosophique dont il n’y a pas l’équivalent dans l’antiquité, soit pour l’importance, soit pour la rigueur. La question du réalisme et du nominalisme n’avait jamais été systématiquement traitée dans la métaphysique grecque ; alors elle fut abordée dans une de ses plus importantes parties, et c’est, à proprement parler, de nos jours seulement qu’elle touche à son terme. Elle consiste en ceci : les conceptions auxquelles les hommes primitifs, nécessairement et d’après les conditions fondamentales de notre esprit, ont donné une existence réelle et, pour me servir du langage de l’école, une réalité objective, ont-elles véritablement cette existence, cette réalité ? ou plutôt ne sont-elles pas purement subjectives, de simples manières de voir, des imaginations pour lesquelles il n’est jamais permis de conclure de leur présence dans notre tête à leur présence effective dans le monde extérieur ?

On comprendra sans peine l’importance du débat. C’est à l’infini que les hommes ont imaginé, et long-temps tout contrôle leur a manqué pour distinguer si ce qu’ils se figuraient ainsi avait, comme ils le pensaient, un être à soi. Le progrès de la civilisation est un empiétement continuel du nominalisme sur ce réalisme primordial, et c’est ainsi que l’on doit concevoir, par exemple, le triomphe du monothéisme chrétien sur le polythéisme. Qu’étaient-ce que Jupiter, Minerve et les autres, sinon des imaginations prises pour des réalités et réduites par un progrès de la raison humaine à n’être plus que des mots et, comme on disait dans la scolastique, flatus vocis ? Après la chute du polythéisme religieux restait un polythéisme métaphysique, c’est-à-dire toutes ces entités connues sous le nom d’universaux et de genres qui, après avoir