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précéda d’un an celle des Chevaliers ; on en peut conclure que vers ce temps-là, pour frapper ainsi à tort et à travers Socrate et Cléon, Aristophane n’était pas toujours honnêtement inspiré.

Quant à Thucydide, M. Grote nous prouve que le grand historien, homme de guerre fort médiocre, laissa prendre à sa barbe, et par une impardonnable négligence, une place très importante, qu’il devait et qu’il aurait pu facilement défendre. Il pensait à autre chose ce jour-là ; peut-être écrivait-il l’oraison funèbre des Athéniens morts à Samos, tandis que Brasidas surprenait Amphipolis. Thucydide fut jugé selon les lois de son pays. Cléon exagéra peut-être son manque de vigilance ; quant aux conséquences de sa faute, elles étaient déplorables, et les juges ne furent pas plus sévères alors que ne serait aujourd’hui un conseil de guerre dans un cas semblable. Éloigné des affaires par un parti politique, Thucydide a jugé ce parti, et surtout son chef, avec une rigueur où se trahit un sentiment d’inimitié personnelle. Lui-même en fournit des preuves par la manière dont il apprécie les actes de ses adversaires. Choisissons l’exemple le plus notable, la prise de Sphactérie par Cléon.

La guerre du Péloponnèse durait depuis plusieurs années avec des chances diverses, sans que la fortune se déclarât ouvertement pour Athènes ou pour Lacédémone. Dans le Pnyx, on était divisé sur la politique à suivre. Les uns, on les appelait les oligarques, inclinaient à la paix ; les autres, c’étaient les démocrates, voulaient continuer la guerre avec un redoublement d’activité. Les premiers, habitués à reconnaître l’ancienne suprématie de Sparte, étaient prêts à s’y soumettre encore, croyant qu’on pouvait faire bon marché d’une insignifiante question d’amour-propre, lorsqu’il s’agissait d’acheter par cette concession le retour de la prospérité matérielle. Les autres, au contraire, s’indignaient d’accepter une position secondaire, et revendiquaient pour leur patrie le droit de ne traiter avec Sparte que d’égale à égale. Cléon fit prévaloir la politique belliqueuse, et, en dirigeant lui-même les opérations militaires, il porta à la rivale d’Athènes le coup le plus terrible qu’elle eût encore reçu. Toute la flotte lacédémonienne fut capturée à Sphactérie, et un corps de troupes, où l’on comptait cent vingt Spartiates, bloqué dans cette île, mit bas les armes devant Cléon. Jusqu’alors on avait réputé les Spartiates invincibles sur terre. Ils vivaient sur leur vieille réputation des Thermopyles, et l’on croyait qu’on pouvait peut-être les tuer, jamais les prendre. Cette renommée tomba avec Sphactérie. Lacédémone fut humiliée, et demanda la paix. Pour quelque temps, la supériorité d’Athènes fut établie dans toute la Grèce.

C’est pourtant cette expédition de Sphactérie que Thucydide s’est efforcé de rabaisser comme la plus facile des entreprises, bien plus, comme une faute politique énorme. Ceux qui voulaient la paix achetée