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le mouvement du 26. D’où étaient sortis les encouragemens donnés aux soldats insurgés ? De l’ambassade anglaise encore, comme l’enquête l’a révélé ; de l’ambassade anglaise, qui leur avait fait distribuer de l’argent et leur avait promis asile en cas d’insuccès.

Dès le lendemain, sans menaces, sans récriminations (car à quoi bon frapper qui n’a plus droit de se défendre ?), le duc de Sotomayor, par une lettre écrasante de froide courtoisie, invitait M. Bulwer, dans l’intérêt de sa propre sûreté, à quitter Madrid dans un délai de vingt-quatre heures. Quelqu’un devait prendre la chose plus froidement encore que M. de Sotomayor : c’était M. Bulwer, lequel répondait, avec une magnifique indifférence, qu’en effet la résidence de Madrid commençait à lui déplaire, et qu’il profiterait tôt ou tard, mais à ses heures, des passeports que voulait bien lui envoyer le duc de Sotomayor. Tant de quiétude et d’audace dans le flagrant délit étaient vraiment inexplicables. Huit jours plus tard, des rapports simultanément adressés au gouvernement espagnol par les autorités des provinces basques, de Valence, de Carthagène, de Murcie, d’Alicante, de Séville, donnèrent le mot de cette énigme.

Dans les provinces basques venait de se manifester une fermentation inquiétante, et l’influence qui avait suscité les troubles de Madrid était signalée comme dirigeant le mouvement. Sur le littoral du midi et de l’est, l’apparition de deux agens de M. Bulwer avait coïncidé avec des préparatifs non équivoques d’insurrection. Les instructions données à ces agens, je ne parle que des instructions officielles, de celles qui étaient écrites au point de vue d’une publicité possible, étaient significatives. L’un d’eux, le colonel Fitch, recevait, par exemple, de M. Bulwer, à la date du 2 mai, entre autres recommandations, celle-ci : « Vous parcourrez la côte jusqu’à Valence, en recueillant cous les renseignemens propres à m’éclairer sur les dispositions morales de ces provinces. » Quel intérêt légitime, avouable, pouvait avoir l’ambassade anglaise à faire la police de l’esprit public des provinces méridionales ? Le voici. En même temps que le colonel Fitch se dirigeait vers le littoral de l’est, un bateau à vapeur anglais tournait sa proue vers le même point et jetait l’ancre en vue de Torrevieja. Ce vapeur était chargé d’armes, et l’on comprend que l’utilité de cette singulière cargaison dépendait plus ou moins des « dispositions morales » de la population côtière. Derrière le colonel Fitch et le colonel Jordan, son auxiliaire, de petites bandes factieuses sortaient de terre comme par enchantement. Les nombreux contrebandiers du campo de San-Roque et de la Serrania de Rondase livraient à des mouvemens inaccoutumés, s’annonçant l’un à l’autre qu’ils allaient recevoir « des armes et de l’argent, » et que Séville donnerait dans deux jours le signal du pronunciamento.