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l’occasion n’arrive pas. Eh bien ! M. Bulwer provoquera l’occasion. La rumeur générale implique dans le complot du 26 quelques hommes marquans du parti exalté : M. Bulwer affiche des relations quotidiennes avec ces hommes. Plusieurs insurgés se sont réfugiés à l’ambassade anglaise : M. Bulwer se fait, au vu et su de Madrid, l’entremetteur de leurs relations avec le dehors. Le gouvernement espagnol affecte de ne pas voir ces manœuvres, sans doute pour ne pas trop divulguer l’isolement où le jette la défection de son dernier allié monarchique en Europe : M. Bulwer ne laissera pas l’ombre d’une excuse à cette feinte sécurité ; par un procédé inoui dans les annales diplomatiques, la note comminatoire de lord Palmerston, dont le gouvernement n’a pas encore entendu parler, est livrée presque textuellement par M. Bulwer à un journal, et ce journal, c’est le Clamor publico, l’organe le plus violent de l’opposition révolutionnaire. La provocation est-elle assez claire cette fois ? Les sympathies de l’ambassade anglaise pour les séditieux ne sauraient plus être un doute pour personne. Le cabinet Narvaez n’a plus aucun intérêt à se dissimuler et à dissimuler à la nation qu’il a à Madrid deux adversaires à combattre au lieu d’un ; ce surcroît de dangers lui impose un surcroît de précautions et de mesures rigoureuses qui vont enfin fournir un prétexte à la remise de la fameuse note… Peine perdue ! le gouvernement espagnol persiste dans son apparente impassibilité.

Il faut cependant en finir. Le temps presse. L’insurrection avortée du 26 mars se réorganise à l’ombre même de l’état de siège pour tenter cette fois un vaste coup de main ; ses agens, à Perpignan et à Bayonne, sont déjà en relations suivies avec nos clubs. Si l’Angleterre se laisse devancer, si elle ne se place pas à temps à la tête du mouvement révolutionnaire par une rupture éclatante avec le gouvernement espagnol, c’en est fait des calculs du Foreign-Office. La note sera donc remise, et après tout qu’importe de sauver les apparences ? Moins cette étrange injonction sera motivée, plus on y verra de malveillance systématique, et plus elle sera méritoire aux yeux de la révolution. Ainsi raisonne évidemment M. Bulwer ; car, non content de transmettre, le 9 avril[1], au duc de Sotomayor cette note, déjà si inconvenante en elle-même, et dont la signification se trouvait si profondément aggravée par son inopportunité, par l’attitude de l’ambassade anglaise, par la communication anticipée faite au Clamor publico, M. Bulwer y joint en son

  1. La date officielle est du 7 ; mais la dépêche de M. Bulwer ne fut adressée en réalité au duc de Sotomayor que le 9. Dans ce délai de quatorze jours, qui s’était écoulé depuis l’insurrection, M. Bulwer et lord Palmerston avaient eu amplement le temps de se concerter, ce qui suffirait à démontrer, à défaut même d’autres preuves, que M. Bulwer n’avait pas agi ici à la légère et de son propre mouvement, comme ont voulu l’insinuer plus tard quelques amis du chef du Foreign-Office.