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entre autres l’agriculture, lorsque la catastrophe de février était venue brusquement substituer une question de salut à la question de progrès dont semblait pouvoir exclusivement se préoccuper le ministère Narvaez. Et à ce moment suprême quelle est encore son attitude ? Cède-t-il à l’entraînement de la peur ? Se hâte-t-il de décréter ces mesures violentes que légitime l’intérêt de l’ordre, et que prévoit d’ailleurs la constitution ? S’abrite-t-il derrière cet irrécusable axiome de gouvernement, « qu’il vaut mieux prévenir que réprimer ? » Il tombe plutôt dans l’excès contraire. Le langage, les mouvemens, les menées significatives de l’opposition extrême font pressentir à Madrid une sanglante parodie de notre révolution, et le cabinet Narvaez est le premier à vouloir que les mesures de résistance soient ajournées jusqu’à l’heure de l’attaque. Ces mesures, il n’en veut pas même la responsabilité, si légère qu’elle soit ; il y associe les chambres, il fait sanctionner par celles-ci la suspension éventuelle de la constitution, il s’obstine, en un mot, dans la légalité quand l’illégalité est pour lui un droit, presque un devoir. Voilà la politique que lord Palmerston, le 16 mars, alors que rien encore ne l’avait fait dévier de ces scrupules exagérés de conciliation, accusait d’arbitraire et de violence ! Voilà le gouvernement à qui un ministre de l’Angleterre, l’alliée officielle, sinon l’amie de l’Espagne, osait tenir un langage à peine tolérable vis-à-vis d’un despote ennemi qui se serait rendu coupable d’un attentat contre la civilisation !

Lord Palmerston, disons-le, dût sa probité politique souffrir de ce qui justifie sa perspicacité, comprenait tout le premier l’étrangeté de cette accusation. La note du 16 mars n’était pas adressée directement au cabinet de Madrid, mais bien à M. Bulwer, avec recommandation d’attendre une occasion pour la communiquer. Il ne pouvait s’agir ici de l’occasion matérielle, qui existe chaque jour et à toute heure pour un ambassadeur. Il ne s’agissait donc que de l’à-propos ; de l’aveu de lord Palmerston, cet à-propos n’existait pas encore, puisqu’il fallait l’attendre. M. Bulwer complétait d’ailleurs, peu de jours après, la pensée du Foreign-Office ; il avouait après coup, au duc de Sotomayor, que les conseils comminatoires contenus dans la note du 16 mars avaient pour base, non pas la conduite tenue par le gouvernement espagnol, mais bien la prévision[1] de la conduite qu’il serait amené à tenir. Voilà qui est significatif, et on commence à voir clair dans ces prophétiques nuages. Rapprochez les deux aveux, et nous aurons le droit de traduire ainsi la recommandation faite à M. Bulwer : « L’Espagne, je le sais, monsieur l’ambassadeur, jouit, depuis l’avènement du ministère Narvaez, d’un calme incontestable ; le gouvernement espagnol,

  1. Lettre de M. Bulwer au duc de Sotomayor en date du 12 avril.