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II – ÉTABLISSEMENT ET CARACTÈRE DU SYLLOGISME.

Cette faculté primordiale dans l’esprit humain, et dont tous les hommes font spontanément usage, a constitué la logique primitive et tous les premiers essais de démonstration. Les Grecs, dont l’esprit scientifique s’éveilla de bonne heure, ne tardèrent pas à porter leur attention sur ce fait psychologique, et, long-temps avant Aristote, les sophistes rendirent plus subtiles et plus acérées les armes de la dialectique commune. Ce mouvement dialectique coïncidait avec un ébranlement profond des croyances générales ; les sophistes touchèrent à tout : religion, morale et politique ; et, sans pouvoir rien substituer à ce qu’ils mettaient en doute, ils répandirent les semences d’une philosophie négative, semences qui ne cessèrent de fructifier que quand une doctrine alors positive, à savoir le christianisme, se fut emparée des intelligences et eut renouvelé tout l’ordre ancien. Je dis alors positive, car, depuis, les choses ont changé ; l’humanité a fait un nouveau pas ; le christianisme a été, comme le polythéisme, miné par une philosophie négative, plus puissante et plus générale ; et le caractère positif, en opposition aussi bien avec la théologie qu’avec la métaphysique, est définitivement échu à la science. À cette époque reculée, dans la Grèce antique, outre l’effet général dont je viens de parler, la dialectique sophistique eut l’effet partiel de favoriser le développement de la logique, et aussi vit-on apparaître, dans toute sa rigueur, dans toute sa netteté, dans toute son étendue, grace au génie d’Aristote, le syllogisme, destiné à un grand empire dans le moyen-âge et dans la scolastique.

Le syllogisme est un véritable progrès logique, malgré ce qu’en ont dit certains philosophes, malgré l’incontestable pétition de principe que renferme tout syllogisme. En effet, dans ce raisonnement : Tout homme est mortel ; or, Socrate est un homme, donc il est mortel, il est incontestable que la proposition Socrate est mortel est présupposée dans la majeure : Tout homme est mortel ; il est incontestable que nous ne sommes assurés de la mortalité de tous les hommes qu’à la condition d’être préalablement certains de la mortalité de chaque homme individuellement ; il est incontestable qu’il n’y a, du principe général, à inférer que les faits particuliers admis par ce principe même comme connus d’avance. L’argument n’est pas réfutable ; aussi est-ce d’un autre côté qu’il faut chercher la théorie du syllogisme. M. Mill l’a donnée avec beaucoup de sagacité ; j’adhère complètement à ses explications et je les cite : « La valeur de la forme syllogistique et les règles pour s’en servir correctement consistent non en ce qu’elles sont la forme et les règles suivant lesquelles nos raisonnemens se font nécessairement ou même