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M. Robert Blum, cité par quelques-uns comme le futur O’Connell de l’Allemagne, et qui devait mourir si misérablement, victime à la fois et des entraînemens de la démagogie et des vengeances de l’absolutisme, M. Robert Blum débuta au parlement des notables avec une sorte de bonhomie naïve qui révélait chez lui un talent fort original, le talent d’un diplomate au service des passions populaires. « Le comité des sept a fait son programme, disait Robert Blum, laissez-nous faire le nôtre, » Et cette pétition était débitée d’un ton si débonnaire ! il y avait tant de candeur dans cette façon d’arranger les choses ! on voit que de M. de Struve à Robert Blum, de la menace à la caresse, on avait parcouru toute la gamme de l’éloquence démocratique. Aussi le débat, si sérieux tout à l’heure, prenait une physionomie plaisante, et plus d’un esprit déconcerté cherchait vainement un point lumineux dans les ténèbres de cette discussion. Ne demandez pas cette éclaircie à l’orateur qui remplace M. Robert Blum. M. le docteur Eisenmann, l’un des martyrs de l’ancien régime, l’un des hôtes les plus assidus des prisons de la Bavière rhénane, monte à la tribune pour soutenir le comité des sept ; mais M. Eisenmann n’aime pas à s’enrôler sous une bannière. Son rôle de conspirateur émérite et de prisonnier perpétuel, bien loin d’irriter son humeur, lui a donné le goût d’une originalité paisible. En le voyant monter à la tribune, tous ceux qui se rappellent sa longue captivité si noblement soufferte s’attendent à une parole énergique, à une pensée résolue : vain espoir ! l’originalité de M. Eisenmann consiste à dérouter ses amis. Le comité des sept propose un programme que la gauche trouve trop timide ; M. Eisenmann le déclare excessif et engage l’assemblée à ne rien faire. La discussion allait se traîner encore au milieu de ces bizarreries, si un homme résolu, s’emparant du débat et le gouvernant avec force, n’eût rallié la majorité indécise par la sûreté de son coup d’œil et l’autorité de sa parole. Voyez-le monter à la tribune ; regardez ce beau front, cet œil fier, ce geste superbe ; voilà, un chef de parti. Ce parlement des notables et celui qui en sortira un jour ne produiront pas un homme d’état plus considérable. Si quelqu’un doit régner sur cette assemblée sans expérience qui fait son éducation en face de l’Europe et sous la pression d’un auditoire révolutionnaire, si quelqu’un est digne de représenter le parlement de Francfort, de le contenir parfois, de le charmer toujours, et peut-être de se perdre follement avec lui, — regardez bien, — c’est le noble orateur qui prend en ce moment la parole, c’est M. le baron Henri de Gagern.

Ce n’est pas ici que je veux peindre M. de Gagern. Les occasions ne nous manqueront pas pour placer ce portrait dans son meilleur jour. Attendons que le brillant orateur préside le parlement de Francfort, attendons surtout qu’il remplace M. de Schmerling à la tête du ministère de l’empire. C’est alors que le rôle de M. de Gagern acquiert