Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/861

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ville en ville avec une rapidité électrique, les plus graves pensées l’assaillirent en foule. La république de 1848 n’allait-elle pas se trouver en face d’une coalition de rois, comme sa terrible sœur de 92, et, provoquée par l’ennemi, ne menacerait-elle pas à son tour l’intégrité de l’Allemagne ? Ce n’est pas tout : ne verrait-on pas se déchaîner tous les élémens de désordre qui grondent depuis dix ans au sein des partis extrêmes ? Les humanistes de la jeune école hégélienne, les disciples de Feuerbach et de Stirner, impatiens de réclamer les droits de leur divinité récente, n’étaient-ils pas prêts à traduire dans la pratique la sauvage violence de leurs écrits ? D’un autre côté, enfin, n’était-ce pas un devoir de mettre à profit les événemens de février pour établir d’une manière sérieuse les libertés constitutionnelles, pour fonder surtout cette unité allemande si ardemment désirée par toutes les intelligences d’élite ? C’est ainsi que les dangers de la frontière, les inquiétudes de l’intérieur, les grands problèmes à résoudre, mille craintes, en un mot, et mille espérances confuses remplirent immédiatement les esprits.

Dès le lendemain du 24 février, des assemblées populaires se formaient sur toute la ligne du Rhin et délibéraient en tumulte. Le 27, à Mannheim, une réunion considérable, présidée par M. d’Itztein, avait formulé ses vœux dans une pétition hautaine qui réclamait l’armement du peuple, la liberté de la presse sans conditions, et la formation immédiate d’un parlement national où l’Allemagne entière ferait connaître ses volontés. Quatre cents habitans de Mannheim, signataires de cette pétition, résolurent de la porter eux-mêmes à Carlsruhe. En vain le gouvernement badois, dès le 29, avait-il accordé la liberté de la presse, le droit de réunion et le jugement par le jury ; les porteurs de la pétition partirent de Mannheim le 1er mars, et ce bruyant cortége, grossi des députations de Heidelberg et de toutes les villes du grand-duché, entra triomphalement à Carlsruhe comme dans une ville conquise. Les mêmes événemens se produisaient dans les pays voisins. Le duc de Hesse-Darmstadt fut obligé de se soumettre aussi promptement que le grand-duc de Bade aux exigences de la révolution. Quatre députés de la seconde chambre, M. de Gagern, dont le rôle va singulièrement s’agrandir, M. Wernher, M. Lehne, M. Frank, adressèrent au gouvernement une pétition assez conforme à celle des habitans de Mannheim. Le grand-duc accorda quelques-uns des droits qu’on réclamait, et fit de vagues promesses pour les autres ; la chambre ne se déclara pas satisfaite, et le lendemain, 5 mars, le grand-duc de Hesse-Darmstadt, afin de conjurer l’orage, était forcé de partager son pouvoir avec son fils, l’archiduc Louis, dont la générosité libérale était une suffisante garantie pour les vainqueurs. Le 6 mars, l’archiduc Louis chargeait M. Henri de Gagern de composer un ministère. Mêmes événemens, et plus graves encore, dans la Hesse-Électorale : les habitans