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où elle pouvait lire et méditer sans être vue. Ce fut pour elle le suprême bonheur.

« Dans la voiture qui nous conduisait à Lascardais : « Quand les hommes et les amis nous abandonnent, il nous reste Dieu et la nature ! » me dit-elle en soupirant.


« Ce qu’il y a de cruel dans les grandes douleurs causées par de grandes pertes, c’est de voir la profonde indifférence des autres.

« Les amis nous disent : « On ne peut pas toujours s’affliger, il faut chercher « des distractions. » — Hélas ! quand on a bien souffert, quand on commence à se soulever sous le poids de ses maux et qu’on essaie de se rattacher encore à quelques illusions, il vient un nouvel accident, une nouvelle mort qui vous perce le cœur encore tout saignant de sa première blessure. Il vaut bien mieux se faire une habitude de la tristesse, repousser les caresses de l’espérance et bien se dire qu’il n’est plus de bonheur. Mais alors qu’est-ce que la vie ? car l’homme est porté par un désir invincible vers le bonheur. »


« Il me semble la voir encore, belle de mélancolie et d’amour, se troubler, pâlir, se couvrir de sueur et me dire avec l’accent le plus tendre et le plus étouffé « Monsieur Ch…, ne me trompez-vous point ? M’aimez-vous ? » puis se reprenant et disant : « Ne croyez pas au moins que je veuille vous épouser. Je ne ferai jamais mon bonheur aux dépens du vôtre. »

« La pitié attendrit ce cœur jusqu’à l’amour.

« Le soir, je tremblais d’éteindre ma lumière ; l’idée que le moment où je verrais le jour reparaître était l’instant du départ me faisait frémir.

« Je lui disais : « Je serai heureux d’avoir passé un instant à côté de vous dans la vie : il me semble avoir passé à côté d’une fleur charmante dont j’ai emporté quelques parfums. »


4 frimaire.

« Jamais la nature ne m’a paru plus triste. Un silence universel règne dans la campagne. On n’entend que le bruit monotone des gouttes de pluie qui frappent les rameaux des arbres dépouillés et tombent sur les feuilles desséchées :

Il ne peut faire un pas sans heurter son tombeau.

« Que de gémissemens sortent chaque jour de ce cœur si triste !

« L’homme est en quelque sorte heureux de sa douleur et de ses regrets, tant qu’ils n’ont point été profanés par une pensée ou une action coupable. Ainsi l’homme qui a perdu sa femme ou son amie trouve un charme dans sa tristesse tant qu’il n’a point commis d’infidélité. Quand il n’a point été fidèle à sa douleur, il peut éprouver de nouveaux regrets, mais ils sont sans vertu.


« Cette femme me paraissait si pure et si céleste, que je ne puis me faire à