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Chateaubriand est nommé dans le pays de Vaud. J’avais pensé que peut-être vous iriez le retrouver, et je l’avais espéré pour tous deux. — Veuillez, je vous prie, m’accuser tout de suite la réception de mon paquet, et, quand vous reviendrez à Paris, venez me voir au plus tût pour que je vous pardonne le soupçon de vous avoir oublié. — Adieu, monsieur ; recevez, je vous prie, l’assurance bien vraie de tous les sentimens que vous m’avez inspirés.

(Rue Cerutti, n° 19.)

« P. S. — M. Pasquier, à qui j’ai dit que j’avais reçu de vos nouvelles, me charge de le rappeler à votre souvenir, et vous prie de ne pas l’oublier. »


La lettre de Chênedollé en réponse à celles de Rome qu’on vient de lire sur la mort de Mme de Beaumont se trouve dans les Mémoires de M. de Chateaubriand. — C’est ici le lieu de placer les lettres de Mme de Beaumont elle-même à Chênedollé, gracieuses paroles de cette ame détachée et fidèle qu’animait l’affection seule au bord de la tombe. Elles viennent bien s’ajouter à tout ce que nous avait appris d’elle la correspondance de M. Joubert[1].


Mme de Beaumont à M. de Chenedollé.

« Le 7 fructidor (1802).

« Notre ami veut attendre la décision d’une nouvelle espérance[2] pour vous répondre. Si elle se réalisait, il n’y aurait pas la moindre apparence de fiction dans la lettre déterminante qu’il doit vous écrire ; mais ne nous flattons point. S’il était vrai qu’espérer, c’est jouir, nous serions bien heureux, car nous espérons beaucoup. À la vérité, nous changeons souvent de vues, de projets et d’espérances ; ils ont le bon esprit de se trouver bien de cette vie, cependant bien fatigante ; je les en félicite ; mais l’hirondelle[3] est toujours le plus noir des corbeaux, sans en excepter celui de Vire. Cet aimable corbeau, quoique absent, est toujours parmi nous ; nous en parlons sans cesse, nous cherchons toutes les manières de le rappeler de son exil, de ne plus le laisser s’envoler. Il entre dans tous nos projets de voyage, de retraite ou de repos.

« Si par hasard quelque journal arrive à Vire, vous aurez vu la nouvelle organisation du gouvernement. Je n’en parle pas, car il serait impossible qu’une lettre en donnât idée.

« Il parait un ouvrage du grand homme de Necker : il s’appelle Dernières Vues sur les finances et le gouvernement des Français. On dit qu’après une monarchie tempérée, l’auteur ne trouve rien de mieux à nous offrir qu’une république gouvernée par sept directeurs. Je ne croirai une telle absurdité qu’après l’avoir lue, de mes yeux lue. Ce qu’il y a de certain, c’est que le livre ne plait ni ne réussit[4]. On dit qu’il retarde l’apparition du roman de Mme de Staël[5] ; c’est un tort très grave pour mon impatience.

  1. Pensées, Essais et Maximes de M. J. Joubert, tome II, page 236 et suiv.
  2. Il s’agissait de la nomination de M. de Chateaubriand à un poste diplomatique.
  3. C’est elle-même.
  4. Après y avoir jeté les yeux, elle sera moins sévère dans la lettre suivante.
  5. Delphine.