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Au même.

« Paris, vendredi, 15 octobre 1802.

« Mon cher ami, je pars lundi pour Avignon, où je vais saisir, si je puis, une contrefaçon qui me ruine ; je reviens par Bordeaux et par la Bretagne. J’irai vous voir à Vire et je vous ramènerai à Paris, où votre présence est absolument nécessaire, si vous voulez enfin entrer dans la carrière diplomatique. Il paroît certain que nous recevrons des ordres pour l’Italie dans les derniers jours de novembre. J’espère vous embrasser vers le 15 de ce même mois ; tenez-vous donc prêt pour cette époque ; je compte sur vous. Dans tous les cas, si le voyage d’Italie venoit encore à manquer, vous seriez placé à Paris.

« Travaillez-vous, mon cher ami ? Voilà la saison favorable. Vous voyez les feuilles tomber, vous entendez le vent d’automne dans les bois. J’envie votre sort. Dans tout autre temps, le voyage que je vais faire me plairoit ; à présent, il m’afflige. Ne manquez pas d’écrire rue Neuve du Luxembourg[1] pendant mon absence, mais ne parlez pas de mon retour par la Bretagne[2]. Ne dites pas que vous m’attendez et que je vais vous chercher. Tout cela ne doit être su qu’au moment où l’on nous verra tous les deux. Jusque-là je suis à Avignon, et je reviens en droite ligne à Paris.

« Je ne sais si je pourrai voir La Tresne en passant à Bordeaux ; cela me feroit grand plaisir. Malheureusement, la saison sera bien avancée, et le temps me presse. Si je puis parvenir à tirer quelque chose du contrefacteur du Génie du Christianisme, alors je prendrai la poste et j’irai beaucoup plus vite que par les diligences. Je pars avec des lettres de Lucien, qui me recommande vivement au préfet ; j’espère réussir avec de la promptitude et du secret.

« Adieu donc, mon très cher ami. Si je ne me casse pas le cou, je vous embrasserai chez vous dans un mois. Encore une fois, tenez-vous prêt à partir avec moi pour Paris ; il seroit absurde, à votre âge et dans votre position, de renoncer à tout projet d’avancement et de fortune. Je vous embrasse tendrement.

« CHATEAUBRIAND. »


Au même.

« Fougères, ce samedi 27 novembre 1802.

« Me voici au rendez-vous, mon cher ami, un peu plus tard que je ne l’avois dit ; mais il est bien difficile de ne pas se tromper de quelques jours sur une route de six cents lieues.

« Je vous envoie un exprès ; je vous propose deux choses :

« Ou d’aller vous prendre ou de vous recevoir ici. Si vous voulez que je passe chez vous, j’y serai vendredi prochain, 3 décembre ou 12 frimaire. Nous continuerons notre route par la Normandie ; le chemin sera plus long.

« Si vous venez me chercher, je vous prie d’être le même vendredi, 3 décembre, à Fougères. Nous irons à Paris par Mayenne. Notre chemin sera plus court.

« Je ne puis que vous répéter que votre présence est absolument nécessaire à Paris, si vous désirez occuper une place ; rester à Vire, c’est vous enterrer tout,

  1. À Mme de Beaumont.
  2. Il devait y rencontrer Mme de Chateaubriand, qu’il n’avait pas revues depuis dix ans.