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cadres limités, il n’a pas le style. Le style fait d’un Paul Potter un diamant.


IV. — SÉJOUR EN SUISSE — RELATIONS AVEC MME DE STAËL — BENJAMIN CONSTANT, ETC.

Chênedollé, en quittant Hambourg, partit pour la Suisse ; nous l’y trouvons arrivé vers la fin de l’été de 1797 : « Il y a aujourd’hui vingt-trois ans (écrivait-il le 12 septembre 1820) que nous partîmes de Berne pour le voyage des hautes Alpes. Nous allâmes coucher à Interlaken. C’est là où j’eus pour la première fois la sensation des hautes montagnes. Le lendemain, nous nous rendîmes à Lauterbrunn. C’est dans ce voyage que j’ai joui le plus complètement de mon être et que j’ai été enlevé le plus parfaitement à toutes les misères, à tous les soins, à tous les chagrins de la vie. » Son poème de la Nature se dessina plus fièrement dans sa pensée ; son talent semblait trouver son niveau dans les hautes régions. Il a consacré plus tard ce sentiment, trop tôt perdu, d’essor et de plénitude dans sa pièce des Regrets[1]. Se trouvant en Suisse, il ne pouvait manquer de visiter Mme de Staël à Coppet, où il fit quelque séjour. Ses papiers fournissent plus d’une note sur les conversations brillantes auxquelles il assista. N’oublions pas qu’il avait l’imagination encore toute remplie des feux d’artifice de Rivarol, auquel il rapportait tout, et Mme de Staël dut être bien prodigieuse pour ne point pâlir auprès, et pour lui paraître même, à quelques égards, supérieure.

« Mme de Staël n’avait pas une parole plus svelte, plus rapide, plus splendide, plus variée que Rivarol ; mais elle l’avait plus vive encore et plus ardente. En un mot, elle était plus tourbillon. Elle vous entraînait, elle vous forçait à rouler dans son orbite.

« La parole de Mme de Staël était teinte de la foudre. Elle avait des dix minutes de conversation vraiment étonnantes.

« Tout l’esprit de Mme de Staël était dans ses yeux, qui étaient superbes. Au contraire, le regard de Rivarol était terne, mais tout son esprit se retrouvait dans son sourire le plus fin et le plus spirituel que j’aie vu, et dans les deux coins de sa bouche, qui avait une expression unique de malice et de grace.

« Mme de Staël coupait, disséquait un cheveu en quatre. Elle anatomisait et colorait tout. — Rivarol, au contraire, caractérisait mieux les hommes que les choses. »

Chênedollé disait encore : « Mme de Staël a plus d’esprit qu’elle n’en peut mener. » Cela n’était vrai qu’à cette première époque. Au reste, tous les témoins sont d’accord sur un point : rien ne saurait donner l’idée de cette conversation de Mme de Staël, rien que les dernières pages de l’Allemagne ; on la retrouverait là seulement presque tout entière.

  1. Études poétiques, liv. I, ode 21.