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donnaient à leurs élèves une éducation libre, variée et littéraire. Il en revint dans l’automne de 1788, ayant lu avec charme Virgile, Homère, Delille (pardon du mélange), Vanière, Boileau, Fénelon et la Jérusalem.

Ce qui a manqué à tous nos poètes modernes, à nous tous, c’est d’avoir rencontré au collége un maître tel que celui dont parle Coleridge, ce révérend James Bowyer, si sensé et si plein de goût dans sa sévérité. « Il m’apprit de bonne heure, dit son reconnaissant élève[1], à préférer Démosthène à Cicéron, Homère et Théocrite à Virgile, Virgile lui-même à Ovide ; à sentir la supériorité de Térence, de Lucrèce et de Catulle par rapport aux poètes romains des âges suivans, à ceux même du siècle d’Auguste, pour la vérité du moins et pour la franchise native des pensées et de la diction. Il m’apprit que la poésie, même celle des odes les plus élevées et les plus désordonnées en apparence, a une logique propre aussi sévère que celle de la science, mais plus difficile en ce qu’elle est plus subtile, plus complexe, et qu’elle tient à bien plus de causes, et à des causes plus fugitives. Dans les vraiment grands poètes, ce digne maître avait coutume de dire que non-seulement il y a une raison à donner pour chaque mot, mais pour la position de chaque mot ; — qu’il n’y a pas un vrai synonyme à substituer dans Homère. — Dans les compositions qu’il nous faisait essayer en notre langue, il était sans pitié pour toute phrase, métaphore, image, qui n’était pas en plein accord avec le droit sens, ou qui le masquait là où ce même sens se pouvait produire avec autant de force et de dignité en des termes simples. » J’abrège ; mais on sent combien une telle préparation de goût reçue dès l’enfance aide ensuite à apprécier et à pratiquer en poésie un style ferme et doux, naturel et senti, dans lequel l’harmonie et l’élégance n’étouffent pas le réel. Un tel maître, par malheur, ne s’est jamais rencontré dans nos écoles, et Lancelot lui-même n’était rien d’approchant pour Racine.

Le jeune élève de Juilly revint donc, ses études finies, au logis paternel avec l’enthousiasme de son âge et dans la première ivresse de son imagination, mais avant à se tracer à lui-même ses préceptes et à faire son choix entre ses modèles. Il n’y songea point d’abord et il se mit à jouir en tous sens de la nature et de la poésie. Le lieu qu’habitait sa famille et qu’il habita lui-même jusqu’à la fin était charmant : « On pourrait dans ce moment, écrivait-il bien des années après (mai 1820), appeler le jardin du Coisel, le jardin d’agréable fraîcheur. Il est impossible de rien voir de plus riant, des gazons plus frais et plus touffus, de plus magnifiques lilas, une plus grande abondance de fleurs, des vergers

  1. Biographia literaria, chap. I.