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REVUE DES DEUX MONDES.

Essai sur la vie et les ouvrages d’Étienne Pasquier, par M. Léon Feugère[1]. — Malgré l’exiguïté de son format, cette publication renferme plus de faits et d’idées qu’on n’a l’habitude d’en trouver dans de longs et nombreux volumes. En retraçant l’histoire d’Étienne Pasquier d’après des documens certains et à l’aide de laborieuses recherches, rendues accessibles à tous par une rédaction spirituelle, élégante et facile, M. Feugère, déjà si connu par son excellente édition de Pascal, vient d’acquérir un nouveau titre à la reconnaissance des lettres. En effet, la vie d’Étienne Pasquier n’est pas seulement la biographie d’un homme, c’est la personnification de toute une époque. Dans l’élite des noms littéraires du XVIe siècle, il n’y en a qu’un de plus original encore, celui de Montaigne ; mais à qui comparer Montaigne ? Pasquier ne fut pas seulement un lettré ; il fut jurisconsulte, avocat, historien, poète, homme politique. Il donna l’un des premiers l’exemple de cette universalité qui devint plus tard un des attributs les plus saillans de l’esprit français. Il fut l’un des créateurs de la prose française, cette portion de notre gloire littéraire la plus riche, la plus incontestable, la plus universellement reconnue ; il contribua à faire passer notre idiome de la naïveté à la clarté et à la précision, son véritable caractère. Dans le livre des Recherches, mot que Pasquier avait inventé, du moins dans ce sens, il posa les fondemens de la critique historique, qui constitue encore un des domaines presque exclusifs de notre temps. Indépendamment d’une forme à la fois naturelle et piquante, les lettres d’Étienne Pasquier renferment une foule de renseignemens et de détails précieux. On a incessamment puisé à cette source sans parvenir à l’épuiser. Enfin, tel que ses contemporains l’ont admiré et tel que les nôtres, grace à M. Feugère, apprendront à le connaître, Étienne Pasquier avait réalisé une réunion bien rare de talens souvent opposés. À l’expérience et à la sagesse de l’homme d’état, Pasquier joignait une imagination développée par l’étude des lettres, dont il était l’ami éclairé et constant. Par un privilège bien rare dans les familles les mieux douées, nous voyons la tradition qu’il a laissée continuée et agrandie sous son nom dans la personne d’un de ses descendans, tradition heureuse, dont il faut bien se garder de rompre la chaîne, car les différentes classes de la société, si pourtant il y en a encore de séparées et de distinctes, y perdraient toutes également.



V. de Mars.
  1. Librairie de Firmin Didot frères, rue Jacob, 56.