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toute sa vie une utopie et un rêve, et dont l’imagination a toujours dupé le patriotisme. Mais le roi de Prusse est roi depuis huit ans. Il n’a peut-être rien oublié, mais il a beaucoup appris. Il trouva donc qu’on lui apportait un grand nom, un grand embarras et un petit pouvoir. Il ne refusa pas sèchement la couronne qu’on lui offrait, mais il déclara qu’il ne pouvait l’accepter qu’après s’être entendu avec les rois, les princes et les villes libres de l’Allemagne, et avoir examiné avec eux si la constitution de Francfort convenait aux membres et au corps général de la confédération germanique. Quel coup de théâtre que cette réponse ! Voilà une assemblée qui se croyait souveraine, qui avait fait, dans la bonne foi de sa souveraineté, une constitution et un empereur. Le premier mot que lui dit cet empereur élu, c’est qu’elle n’est pas souveraine, que le vieux corps de la confédération germanique subsiste encore, avec ses rois, ses princes et ses villes libres ; que c’est à ces rois, à ces princes et à ces villes libres, d’accepter la constitution, après l’avoir examinée. Que sommes-nous donc alors ? ont dû se dire les publicistes et les historiens de Francfort, en entendant cette réponse polie, mais claire. Le roi de Prusse, en effet, traitait la diète constituante de Francfort comme si elle n’était encore que cet anté-parlement de 1848 qui a commencé la révolution germanique. Les dramaturges de Francfort croyaient avoir fait leur cinquième acte. La réponse du roi de Prusse les renvoyait au prologue.

C’est ainsi que la députation de la diète de Francfort, qui était allée à Berlin sans y porter un empire, en revint sans rapporter un empereur. C’était juste. Que faisait-on cependant à Vienne ?

L’école historique n’a jamais beaucoup dominé à Vienne. L’Autriche a profité de l’enthousiasme de 1812 et de 1313 ; mais elle n’en a jamais été dupe. Le vieil empereur François II n’avait aucune prétention et aucune prédilection littéraires ; l’empereur Ferdinand, son successeur, non plus. La révolution faite pour accomplir l’unité germanique n’avait guère de chances de plaire à Vienne. Elle était contraire aux intérêts, aux goûts de l’Autriche, et ce qui se mêlait de démocratique à cette révolution n’était pas fait pour lui concilier la faveur de la cour de Vienne. Cependant on était en 1848, dans cette année d’expansion révolutionnaire ; l’Autriche avait ses grands embarras de l’Italie et de la Hongrie Elle sembla accepter de bonne grace la tentative de Francfort ; elle alla même plus loin, et prêta complaisamment un de ses archiducs à la révolution. L’Autriche, en effet, a des archiducs pour toutes les situations ; elle en avait même un, chose extraordinaire, pour la situation révolutionnaire de l’Allemagne. C’était l’archiduc Jean : sa longue disgrace à Vienne le préparait à merveille pour sa fortune de Francfort. Ennemi juré de Napoléon, il ne voyait, dès 1810, de salut pour l’Allemagne que dans l’intime union de tous les princes. Dès 1810, il voulait marcher avec le peuple et rejetait l’axiome des souverains allemands : Tout pour le peuple, rien par le peuple. Grand ami de l’unité germanique, et même partisan de la démocratie, vivant à Gratz, loin de la cour, avec sa femme, fille d’un simple maître de poste, l’archiduc Jean était un de ces princes comme les révolutions aiment à en prendre sur les marches des trônes pour s’autoriser et s’encourager. En 1842, dans l’année de recrudescence du teutonisme, l’archiduc Jean avait porté un toast à l’union de l’Al-