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de ses femmes, sur la légèreté de sa conduite, et celle-ci lui répond en français : « Madame, chacun a son but. » Ce qui indisposait profondément les Anglais contre lord Bute, c’était son extrême partialité pour les Écossais, ses compatriotes, auxquels il distribuait toutes les places. Les caricatures représentent les grandes routes du nord encombrées d’Écossais déguenillés qui émigrent pour la terre promise du sud. Il y en a une où l’on voit un Écossais expédié par la poste sous enveloppe, et affranchi par privilège parlementaire.

Dans la satire et dans le journalisme, l’homme qui porta les coups les plus rudes au ministère de lord Bute fut John Wilkes, dont le nom est resté attaché à un des plus célèbres procès de presse du xviiv siècle. À l’occasion d’un article publié le 23 avril 1763 dans le North Briton, Wilkes fut arrêté et mis à la Tour. Comme il était membre du parlement, le mandat d’arrêt fut attaqué comme illégal, et la cour du banc du roi prononça la mise en liberté du prisonnier. Le parlement s’empara de l’affaire, mais le ministère et la cour y avaient encore une forte majorité ; les deux chambres déclarèrent l’article saisi « un libelle calomniateur et séditieux, » et décidèrent qu’il serait brûlé par la main du bourreau. Au dehors, l’opinion se prononça tout autrement. Quand le shérif, avec le bourreau, voulut brûler publiquement dans la Cité le numéro condamné du North Briton, la populace se souleva, força le shérif à une prompte retraite, arracha des mains du bourreau le papier à moitié brûlé, et l’emporta en triomphe jusqu’à Temple-Bar, où elle alluma un feu de joie avec l’effigie de Bute. L’agitation se prolongea pendant plusieurs mois ; Wilkes, exclu de la chambre et condamné au pilori, s’était réfugié en France. Un libraire, qui avait publié une collection de son journal, fut également condamné au pilori. Il y fut conduit dans un fiacre, au milieu des acclamations d’une foule immense ; et après avoir subi sa peine, avec une branche de laurier dans la main, il salua les assistans. Le peuple avait, de son côté, dressé en face du pilori une potence à laquelle il avait suspendu une effigie de Bute et une toque écossaise, dont il fit ensuite un feu de joie. Une quête faite sur place réunit 200 guinées, plus de 5,000 francs, et fut remise au condamné, qui fut reconduit en prison aussi triomphalement qu’il en était venu. On voit qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

Wilkes rentra en Angleterre cinq ou six ans après, et se porta candidat à l’élection du Middlesex. Le scrutin se faisait à Brentford, près de Londres. Le jour du vote, toutes les routes conduisant à Brentford furent occupées dès le point du jour par la populace, qui arrêtait toutes les voitures et ne laissait passer que celles qui avaient arboré les couleurs de Wilkes. Depuis la panique du tremblement de terre, Londres n’avait pas vu pareille émigration. Le numéro du journal de Wilkes