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à entendre. Son sermon est trop remarquable pour que nous ne le traduisions pas littéralement :


« Ô citoyens des États-Unis, rois souverains, vous qui jamais n’écoutez que votre propre sagesse, je veux garder l’anonyme ; car, en votre qualité d’hommes libres, vous tuez ceux qui ne sont pas de votre avis. Vous estimez que le passé n’a pas de valeur, tandis que le passé est le grand apôtre de l’avenir. Vous imaginez que le grand diable (qui est le mal) va mourir, tandis que le grand diable vivra autant que l’homme et le monde. Ô souverains rois, vous êtes des fous, quand vous pensez assister au dernier acte du drame humain, ayant pour dénoûment la république universelle et permanente ; — rien n’est permanent.

« Quel est le siècle qui ne s’est pas regardé lui-même comme la consommation des siècles ? Quelle est la monarchie qui n’a pas prétendu donner le dernier mot de toutes les monarchies ? Quelle est la république qui n’a pas eu foi dans son éternité ? Les hommes vont de vieilleries en vieilleries, croyant marcher de nouveautés en nouveautés.

« Haine aux républiques ! criait la Rome de Romulus ; et les courtisans de répéter ces mots. Haine aux monarchies ! criait l’autre Rome de Brutus ; et tous les petits orateurs répétaient en chœur : Un roi est une bête féroce ! Ensuite vinrent les empereurs, majestés plus royales que les rois ; on les adora.

« Vous êtes libres, dites-vous ? Cela est vrai. Ô souverains rois, vous avez de l’espace devant vous, vous pouvez vous livrer à vos ébats les plus violens. Le jeune cheval sauvage des pampas galope en liberté dans les hautes herbes, crinière flottante, naseaux ouverts ; rien ne l’arrête ; chaque muscle est chargé d’électricité, chaque mouvement est triomphal. Et vous aussi, vous n’avez ni bride ni mors ; mais à qui le devez-vous ? Avez-vous de quoi vous vanter ? Si vos populations étaient pressées et serrées dans un espace étroit comme celui de la vieille Angleterre, si vous n’aviez pas eu vos immenses prairies et le gigantesque Océan pour vous défendre, ô souverains rois, vous qui n’êtes ni des stoïques, ni des contemplatifs, mais ardens, actifs, braves et avides comme vos ancêtres, vous auriez crié : God save the king ! ou vous vous seriez dévorés les uns les autres. Rendez grace à Dieu. Vous avez de l’espace pour être libres. — Vous serez vieux un jour et vous aurez grandi. Tous les membres de votre communauté se coudoieront. Vous deviendrez oppresseurs, car vous aimez la victoire et le gain ; — et vous serez opprimés ?

« Ô souverains rois, vous êtes déjà des oppresseurs et des tyrans sans le savoir. Ne venez-vous pas, à votre insu, de vous précipiter sur une race voisine[1] ?

« Vos épées ruisselaient du sang mexicain, avant que vous eussiez la conscience de les avoir tirées. Vos lois ne défendent-elles pas aux chefs de votre république de déclarer la guerre ? Cependant votre chef a osé quelque chose de plus impérial ; — il a fait la guerre sans la déclarer.

« Ô citoyens rois et souverains aveugles, apprenez que les républiques tombent comme les monarchies, que la dépendance de l’homme envers l’homme ne cessera que sur les ruines du monde, que les monarchies ne sont pas en elles-mêmes essentiellement mauvaises, que pour certains peuples elles valent mieux

  1. Le Mexique.