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burga (l’Allemagne), Kannida (le Canada). Cette arlequinade rappelle trop notre Rabelais, si fécond en appellations dont le son grotesque suffit à provoquer la titillation pantagruélique. M. Melville n’est pas un magicien de cette espèce. Il a du bon sens et de la sagacité ; il voudrait en faire de l’humour, ce qui n’est pas la même chose.

Le vaisseau fantastique sur lequel se trouvent un poète, un philosophe, M. Melville et je ne sais quels personnages fabuleux d’une invention médiocre, touche tour à tour aux rivages d’Europe ou Porphyro (l’étoile du matin), et de l’Amérique ou de la Terre de vie (Vivenza). On visite l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie, la France. Il y a dans la manière dont l’auteur parle de la Grande-Bretagne un respect filial et un profond amour qu’il faut noter, et dans la pitié qu’il accorde à l’Irlande une sévérité tout-à-fait anglo-saxonne ; enfin on aperçoit la France ; l’année 1848 vient de commencer :


« Glorieuse Europe, chante le poète pendant que le soleil se couche, éclairant les crêtes blanches et crayeuses de l’Angleterre et les côtes verdoyantes de l’Irlande ; tu es le séjour magique des demi-dieux ; tu nourris des peuples entiers de philosophes, de savans, de sages et de bardes qui chantent en chœur ; tes rois paisibles portent sans peine des sceptres longs comme le mât d’un navire ! Des perspectives de clochers, des multitudes de dômes, de coupoles et de minarets, des avenues de colonnes, des armées de statues, des horizons tout entiers de splendides peintures, font ta gloire et ton bonheur, ô pays des délices ! Surtout, je voudrais aborder en France, dans la région favorisée, et toucher la main de son vieux roi !

« La brillante langueur de la nuit semblait redoubler de beauté et de calme, quand tout à coup la mer se troubla, le ciel devint noir, et un jet de flamme qui retomba en pluie étincelante jaillit de ce Vésuve que la France porte toujours dans son sein : le monde trembla, le palais et le trône du vieux monarque s’enfoncèrent tout à coup dans le cratère.

« — C’est l’ancien volcan ! s’écria l’un des voyageurs. — Toujours le même foyer, répondit le philosophe, seulement il a trouvé une nouvelle issue. — Celle-ci, reprit le troisième, est plus redoutable que l’éruption que j’ai vue dans ma jeunesse ; ne serait-ce pas la fin de la France ? La lave coule sur toute l’Europe ; l’Angleterre elle-même pâlit. Ce feu lugubre menace toute la civilisation. Ici bientôt nous ne trouverons qu’un désert. — Mes amis, reprit le philosophe, le feu qui dévore les gazons purifie et fertilise la prairie. L’agriculteur le plus habile ne parvient jamais à rendre long-temps fertile le même sol. Si l’Europe est épuisée, il faut qu’elle se ravive. Si elle doit sa renaissance à cette commotion redoutable, elle aura payé bon marché sa résurrection inespérée. »


On voit que l’auteur garde un très beau sang-froid en contemplant nos misères. Dès qu’il aperçoit la terre américaine, ce calme philosophique fait place à une exaltation très vive


« Salut, mon Amérique libre, terre du printemps ! Le printemps ! le printemps ! chante le poète. Il vaut mieux que l’automne ; il a toute l’année devant lui.

« Vive la terre nouvelle ! la terre du printemps ! Voici la race qui ne connaît