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C’est ce sentiment religieux dont je parlais, qui est partout, qui se ravive à chaque épreuve, qui s’alimente aux plus intimes sources du cœur, et que les enfans puisent avec le lait de leur mère ; c’est cet instinct mystérieux et naturel des choses invisibles, d’un être puissant et protecteur auquel il faut recourir dans les momens d’abandon. Ce sentiment, cet instinct est un besoin pour la nature humaine ; c’est son penchant invincible, indestructible. Ces deux enfans que le poète amène au pied d’une croix, à la clarté sereine de la lune, pour demander la vie de leur père, ne sont-ils pas le symbole naïf de cet élan religieux de l’ame humaine ? — De quoi s’agit-il donc dans le poème de Jasmin ? C’est un pauvre maçon, ancien militaire, — Alari, — déjà près de succomber au mal qui le ronge. S’il meurt, il emporte avec lui le pain de sa femme, de ses enfans, qui est dans son travail. Il ne laissera après lui que la ruine, le dénûment et toutes les tristesses de la misère jointes aux tristesses de la mort. La prière des enfans a-t-elle été écoutée ? Il le faut croire : en rentrant, Abel et Jeanne trouvent leur père déjà mieux et délivré de la fièvre qui brûlait son sang. La mère attendrie et joyeuse les serre sur son sein avec passion, et tous trois ils prient Dieu encore, « à genoux, dit le poète, entre quatre colonnes d’un vieux lit en serge où maintenant formait d’un sommeil plus doux le bon père… »

Un peu d’espérance rentre donc dans la maison attristée ; la confiance et la joie y reviennent. Alari retrouve peu à peu la santé, après avoir lutté fièrement avec le mal ; mais les forces ne reviennent que lentement, et il ne peut encore recommencer sa vie de travail. Dans l’attente où chaque jour se passe, il se préoccupe de sa famille ; il voit son fils Abel grandir, et s’inquiète de ce qu’il deviendra. « Nous sommes pauvres, — dit-il à son fils un matin où Abel vient assister à son réveil, — et nous n’avons que mon travail pour vivre. — Le ciel, en me guérissant, a voulu nous sauver. — Toi, mon fils, tu as quinze ans déjà ; — tu sais lire, tu sais écrire, — au travail il faut songer. — Je sais que tu es chétif ; tu as des heures de langueur, — tu es plus joli que fort. Tes petits bras plieraient, — quand sur la pierre ils frapperaient. — Mais notre percepteur, qui aime ta bonne mine, — te trouve l’air monsieur, — et veut de toi faire quelque chose. — Va-t-en chez lui, et fais tout pour lui plaire. — Surtout pas de gloriole, Abel, comme j’en ai vu. — Écrivain, ouvrier, chacun a son travail. — Plume, marteau, ce sont des outils ; — l’esprit comme le corps fatigue notre vie … » Le bon Alari rêve déjà un avenir brillant pour son fils ; il se réjouit d’avoir trouvé pour cette nature fine et délicate un travail plus doux, une condition plus heureuse, tandis que lui il poursuivra sa tâche rude et grossière. Voici pourtant qu’un coup de foudre inattendu vient flétrir