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simultanée qui les penchait en avant et comme balancés ensemble vers le bruit qui se faisait entendre, cet accord d’attitudes gracieuses, reposées et légères, formaient un groupe sculptural de l’effet le plus charmant et le plus naïf. Le jeune homme était absolument nu ; la jeune fille avait pour tout costume une petite ceinture d’écorce, d’où pendaient devant et derrière deux feuilles roussâtres de l’arbre à pain. À notre approche, leur effroi fut extrême ; comme j’avais peur qu’ils ne prissent la fuite, je m’arrêtai, leur montrant la pièce d’étoffe que je tenais à la main, et les priant par mes gestes de venir recevoir le présent que nous voulions leur faire. Ils ne bougeaient pas. Je prononçai quelques mots de leur langue ; ils parurent un peu rassurés ; je m’avançai, ils reculèrent doucement et pas à pas ; nous finîmes par nous trouver assez près d’eux pour jeter sur leurs épaules le châle que nous leur destinions. Nous continuions nos gestes de politesse ; le couple reculait toujours. Enfin ils pressèrent le pas, et tout à coup ils se mirent à pousser un long cri d’une intonation singulière, auquel, du sein des bocages voisins, un cri semblable répondit. Quelques minutes après nous entrions dans un espace découvert, et devant nous, à quelques toises de distance, nous aperçûmes une grande hutte basse et longue, devant laquelle plusieurs jeunes filles étaient assises. Dès qu’elles nous virent, elles s’élancèrent toutes et disparurent dans les halliers comme autant de biches timides. Bientôt le village retentit de cris sauvages, et de toutes les directions les indigènes accoururent vers nous ; la foule bruyante des femmes, des enfans et des jeunes garçons ne tarda pas à nous environner avec de grandes exclamations, de manière à nous empêcher d’avancer. Vous eussiez dit que leur territoire était envahi par une armée. Ce que leur racontaient nos deux jeunes introducteurs semblait redoubler la surprise des insulaires, qui nous regardaient de tous leurs yeux. Enfin nous parvînmes à un grand bâtiment soutenu par des bambous, et les indigènes, formant une haie pour nous laisser passer, nous firent signe d’y entrer. Nous leur obéîmes, et nous nous jetâmes sans cérémonie sur les nattes dont le sol était tapissé. En peu d’instans la chambre fut pleine de monde ; ceux qui ne pouvaient plus entrer cherchaient à nous apercevoir à travers les clairières des joncs et des bambous.

« Le jour tombant nous montrait tous ces visages attentifs et sauvages, rayonnans de curiosité et de surprise ; ici les guerriers bronzés et tatoués, là les jeunes filles aux membres délicats, tous livrés à une conversation orageuse dont nous étions évidemment le texte et dont nos guides fournissaient les détails. Ceux-ci avaient fort à faire pour répondre aux questions qui leur étaient adressées. Rien de plus violent que les gesticulations de ces indigènes dès que leur conversation s’anime ; leurs gestes et leurs mouvemens, mêlés de hurlemens et de danses, avaient même fini par nous sembler passablement effrayans. Près de nous se tenaient accroupis une douzaine de chefs à l’air fort noble, et qui, plus réservés que les autres, nous regardaient avec une attention sombre et persévérante, de nature à nous troubler beaucoup. Un des hommes du groupe, presque nu, qui semblait avoir quelque autorité, vint se planter droit et debout devant nous ; l’immobilité de son visage correspondait à celle de son geste on eût dit une statue de bronze. Jamais il ne m’était arrivé de subir l’inquisition d’un regard aussi étrangement fixe ; la pensée du sauvage ne s’y révélait pas : c’était lui qui scrutait la mienne. Après avoir soutenu assez long-temps cet