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dos appuyé contre la muraille, le long de laquelle coulaient des gouttes éternelles et glacées, la tête entre ses genoux et les membres en proie à un tremblement convulsif, il n’avait plus ni souffle, ni pensée, ni parole. Rien ne manquait à notre supplice. La pluie tombait par torrens, et faisait de notre abri une ironie misérable. En vain tentai-je de m’établir de manière à éviter la pluie : en y échappant d’un côté, je me découvrais d’un autre. Les épouvantes et les douleurs accumulées de la faim, du froid, de notre situation désespérée, et les ténèbres qui nous entouraient, me firent perdre un moment courage. »


La nuit se passe, et les fugitifs ne s’en trouvent guère mieux ; réduits à se traîner dans les halliers, l’un blessé à la jambe par un éclat de jonc, l’autre tremblant de fièvre, ils descendent sur leur droite, atteignent une vallée sans nom qui leur fournit comme déjeuner quelques restes de fruits dédaignés par les oiseaux, et n’aperçoivent aucune route.


« Ne sachant comment nous orienter et n’apercevant devant nous qu’un horizon sans chemin frayé, nous résolûmes de pénétrer dans le bosquet le plus voisin. Nous en étions à quelques pas, lorsque je heurtai du pied un fragment du fruit de l’arbre à pain, parfaitement vert, encore humide, et qui venait évidemment d’être dépouillé de son écorce. Je le passai à Toby, qui ne put s’empêcher de tressaillir à cette preuve incontestable du voisinage des sauvages Taïpies ou Happars, deux tribus ennemies et irréconciliables. Un peu plus loin nous trouvâmes un certain nombre de branches du même arbre formant un petit fagot rattaché par un lien d’écorce. Il semblait probable qu’un habitant, prenant l’alarme à notre approche, s’était débarrassé de ce fardeau avant de fuir pour aller avertir ses camarades. Dans quelles mains allions-nous tomber ? Taïpies ou Happars ? Il n’était plus temps de revenir sur nos pas ; nous avançâmes très lentement, Toby regardant à droite et à gauche sous les arbres. Tout à coup je le vis s’arrêter comme si une vipère l’eût piqué, s’agenouiller, écarter d’une main les feuillages épais, de l’autre me faire signe de ne pas avancer, pendant que son regard, fixé sur un objet lointain, semblait ne pas vouloir s’en détacher. Je ne tins aucun compte de son injonction muette. J’approchai, et deux personnages m’apparurent, debout, serrés l’un contre l’autre, parfaitement immobiles. Il est plus que probable qu’en nous apercevant ils s’étaient enfuis dans les profondeurs des halliers. J’eus bientôt pris ma résolution. Laissant tomber mon bâton, je tirai du paquet que j’avais emporté un morceau de cotonnade et je l’attachai comme un drapeau, à l’extrémité d’une branche que je cassai. Je dis à Toby d’en faire autant, et tous deux, portant en main le caducée de paix, nous pénétrâmes dans le fourré en marchant vers les deux êtres tremblans qui s’y étaient blottis. C’étaient un jeune garçon et une jeune fille, l’un de seize ou dix-sept ans, l’autre de quatorze ou quinze, d’une beauté et d’une régularité de formes exquises, et dont la nature avait seule soigné les atours. Leurs deux têtes penchées et attentives, la main de la jeune fille serrée dans celle du jeune homme, le bras de ce dernier appuyé sur le coude de sa compagne et à demi caché sous les longues tresses des cheveux de cette dernière, l’élégante délicatesse de leur taille et le mouvement de crainte