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la circulation du peu d’air qui aurait pu arriver jusqu’à nous, et, nous tenant prisonniers comme dans un ressort qui se replie ; ils nous empêchaient même de voir où nous étions et de nous orienter parmi ces tiges de huit à dix pieds de haut. Épuisé par mes efforts et tout haletant, je me sentis incapable d’aller plus loin. Ma chemise était trempée de l’eau de pluie ; je tordis ma manche, pour étancher ma soif ; le peu de gouttes d’eau que je pus me procurer ainsi ne me soulageant pas, je tombai comme mort et dans une apathie stupide. Cependant Toby avait inventé un moyen de nous tirer du piége. Armé de son, couteau de chasse ; il s’était mis à faucher à droite et à gauche les joncs réfractaires ; la clairière se faisait. En m’éveillant, je suivis son exemple, qui me rendait le courage, et je fis un abattis considérable tout autour de nous. Mais hélas ! plus l’œuvre de destruction s’élargissait, plus l’élévation, et l’épaisseur des joncs augmentaient. Je commençai à croire que tout était fini à jamais et que sans l’addition d’une bonne paire d’ailes il nous serait impossible de sortir du traquenard, lorsque tout à coup une éclaircie apparut à ma droite et laissa pénétrer jusqu’à moi un joyeux rayon de soleil. Je communiquai cette bonne nouvelle à Toby ; nous nous remîmes à l’œuvre avec plus de force et de courage qu’auparavant. Nous travaillâmes si bien que nous finîmes par nous trouver en pleine liberté, à peu de distance du sommet. Après quelques secondes de repos, nous gravîmes jusqu’à la crête, et nous eûmes bien soin de ne pas nous montrer debout ; les habitans des vallées nous auraient aperçus et auraient intercepté notre passage ; mais en avançant prudemment d’un côté, rampant sur les pieds et les mains, à genoux, et nous glissant à travers le gazon comme deux serpens, nous finîmes par arriver. Une heure avait été consacrée à ce mode peu facile de locomotion.

« Nous nous relevâmes hardiment, nous croyant protégés contre les observations indiscrètes par un rideau d’arbres. Cette crête, formant éperon sur la mer et se détachant des autres rochers qui faisaient amphithéâtre autour de la baie, s’élevait à angle aigu du rivage même, et, à l’exception d’un petit nombre de plans inclinés, offrait une pente douce et continue qui s’élevait obliquement vers les montagnes centrales de l’île. Nous étions arrivés à peu près au point de ce plateau qui dominait la mer, et nous avions à notre gauche la route qui devait nous conduire aux montagnes, route couverte d’un gazon fin et velouté, souvent large de quelques pieds seulement. Tout joyeux du succès de notre entreprise et respirant, un air frais et aromatique qui rendait la vigueur à nos membres, nous nous mîmes à marcher rapidement sur cette surface élastique et douce ; mais nos silhouettes qui se dessinaient nettement sur le fond du ciel s’étaient déjà fait remarquer. Du creux des vallons les plus solitaires et des gorges les plus cachées nous entendîmes retentir de grands cris, et, en abaissant nos regards vers la plaine, nous aperçûmes les habitans sauvages de l’île courant en désordre, quittant leurs petites cabanes éparses çà et là comme autant de points blancs. Nous étions trop haut perchés pour ne pas nous sentir à l’abri des poursuites, et nous savions d’une part que les sauvages ne nous suivraient pas dans les solitudes des montagnes, d’une autre, que nous avions tout le temps nécessaire pour leur échapper. Cependant, à cet aspect et à ces cris, nous nous mîmes à courir plus fort qu’auparavant, et nous nous trouvâmes enfin arrêtés par une muraille perpendiculaire, barrière qui semblait inexpugnable. À force