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reconnût la vérité essentielle de ce curieux épisode de la vie d’un jeune marin. La réapparition de son compagnon Toby ou Richard Green, personnage très réel et qui a partagé tous ses périls, l’a contrarié jusqu’à un certain point ; elle le faisait descendre de son piédestal de romancier jusqu’au rôle ordinaire de narrateur. — Pour moi qui connais la mauvaise tête de M. Melville et l’emploi fait par lui de ses premières années, pour moi qui ai lu son journal, ses Rough-Notes, actuellement entre les mains de son beau-père, et causé avec Richard Green, son fidèle Achate ; je ris de la préoccupation du public. Vous voyez le mensonge où est la vérité et la vérité où est le mensonge. Relisez Typee, je vous le demande ; je ne parle pas d’Omoo, qui en est une pâle contre-épreuve ; relisez ce livre, non plus comme un roman, mais comme portant l’empreinte la plus naïve des idées et des mœurs communes à ce grand archipel polynésien si mal connu. Le nouveau voyageur est plus vrai que Bougainville, qui a changé les bosquets de Tahiti en boudoirs à la Pompadour ; — que Diderot, qui met en œuvre, pour embellir et colorer son matérialisme sensuel, les récits voluptueux de Bougainville ; — il est plus croyable que les Anglais Ellis et Earle, tout occupés de justifier la conduite des missionnaires anglicans au milieu de ces populations ; gens qui manquaient à la fois du sens poétique et pittoresque et de la verve de style nécessaire à de telles peintures. Sans doute, M. Melville emploie des couleurs trop violentes, et cela n’est pas étonnant. À l’âge où il était, à cette époque où la première sève et la fraîcheur de la vie qui se développe donnent aux idées et aux impressions une force passionnée, il devait ressentir une émotion vive, exagérée si l’on vend, de la nouveauté des aspects et de l’a singularité des périls. Son style exubérant est trop orné ; ses teintes à la Rubens, ses couleurs chaudes et violentes, sa prédilection pour les effets dramatiques, ses descriptions efflorescentes blessent le goût. Cependant il n’y a guère moins de détails romanesques chez le vieux docteur espagnol Saaverde de Figueroa, qui a décrit le premier ces voluptueux parages, et il serait ridicule d’attendre une grande sobriété de coloris d’un jeune mousse américain qui a eu l’honneur de passer quatre mois avec MM. les sauvages, qui a partagé les plaisirs de leur existence primitive et qui a été sur le point d’être mangé par eux. Comme tous ses prédécesseurs, comme don Christoval Saaverde de Figueroa, le capitaine Cook et Bougainville, il a écrit sous le charme d’un enivrement causé par le prestige de la nature et l’étrangeté des coutumes. Seulement l’Américain, moins séduit par les voluptés de la nouvelle Cythère que charmé de courir après les aventures, se montre hardi, brusque et véhément ; c’est un caractère à part, qui rend ce singulier ouvrage encore plus digne de votre étude.