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original et incohérent, sensé et insensé, mal écrit et mêlé de pages éclatantes, farci de faits intéressans et de rabâchage, d’enseignemens profonds et d’épigrammes médiocres. Vous diriez le rêve d’un mousse qui a mal fait ses études, qui s’est enivré de haschich, et que le vent, balance au sommet d’un mât pendant une nuit chaude des tropiques.

Ce bizarre ouvrage qui débute comme un conte, qui tourne ensuite à la féerie et se rabat sur l’allégorie pour arriver à la satire en traversant, l’élégie, le drame et le roman burlesque, piqua vivement ma curiosité de critique ; je ne le comprenais pas après l’avoir lu, je le comprenais encore moins après l’avoir relu ; une clé était nécessaire non-seulement aux faits, aux noms propres et aux doctrines que l’auteur mettait en œuvre, mais surtout à la création d’un tel livre, qui semblait n’avoir au monde aucune raison d’être. Avec cet amour du vrai et ce besoin d’aller au fond des choses que je ne peux ni ne veux éteindre, je me mis à chercher la solution d’un problème d’autant plus intéressant qu’il se rapporte à une littérature toute neuve et qui est encore pour ainsi dire dans son oeuf. Je consultai les critiques anglais ; ils m’apprirent ce que je savais ; d’abord que l’œuvre est extravagante, et ensuite qu’ils n’y voyaient pas plus clair que moi. Ils m’avertirent aussi que M. Hermann Melville n’était qu’un pseudonyme, auteur de romans voyages apocryphes, Typee et Omoo, qui attestent une vigoureuse puissance d’imagination et une grande hardiesse à mentir.

Je voulus donc lire Typee ou, comme nous prononcerions ce mot, Taïpie, ainsi que la suite, intitulée Omoo (Omoû), et je ne fus pas de l’avis des critiques anglais. Sans doute, il y était question de mille aventures étranges ; il s’agissait de nymphes érotiques et sauvages, de cannibales idylliques et philosophes, de temples enfouis dans les bois et perchés sur les rocs de Noukahiva, de beaux moraïs dans les vallées, de scènes innocentes d’anthropophagie mêlées de danses sentimentales ; — mais toutes ces choses se retrouvent à peu près chez Bougainville, Ongas, Ellis et Earle.. Il y avait là un cachet de vérité, une saveur de nature inconnue et primitive, une vivacité d’impressions qui me frappaient. Les nuances me paraissaient réelles, bien qu’un peu chaudes et à l’effet ; les aventures romanesques de l’auteur se déroulaient avec une vraisemblance suffisante. Notre héros, après avoir été, disait-il, mangé de caresses par ses hôtes polynésiens, avait failli être mangé par eux en chair et en os ; on lui avait prodigué les douceurs de cette hospitalité gastronomique et perfide dont les animaux de nos basses-cours sont les objets. Nourri et amusé aux frais de l’état, il avait eu pour se distraire l’opéra, la poésie indigène, le bal et la conversation des bayadères les plus distinguées. On avait soigné sa vie, son bien-être, sa bonne humeur, sa santé physique et morale avec un amour et une sur-