Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est avec cet instinct sûr, c’est avec cette connaissance exacte du monde des pauvres, comme il le dit, de ses mœurs, de ses croyances, de ses habitudes familières, de ses besoins, de ses résignations et de ses joies, c’est en rassemblant tous ces traits, toutes ces nuances d’une nature fidèlement observée, que Jasmin est parvenu à donner un intérêt de vérité, en même temps que l’intérêt de l’invention, à ses poèmes, à ces petits drames qui ne sont que la mise en action de la vie populaire et se déroulent sur un théâtre qui est partout, dans les vallées, dans les cabanes couvertes de chaume, au seuil d’une église ou sur le penchant des coteaux, au coin d’un chemin ou dans la chambre étroite et nue visitée par le deuil. L’Aveugle, Franconnete, Marthe, les Deux Jumeaux, dans leur variété de détails et de richesse poétique, portent la même empreinte, sont nés de la même pensée, de la même inspiration, et c’est pour cela que, tout en mettant dans ses peintures un art savant et raffiné, Jasmin reste vraiment un poète populaire. Ce qu’il faut surtout aussi remarquer dans ces compositions, c’est le parfum moral qui s’en exhale. Le drame des passions et des sentimens y sert à manifester la pureté du cœur, la puissance du devoir. Quel tableau plus poignant, plus profond et plus innocent tout ensemble de l’amour que l’Aveugle, que Marthe, — Marthe, la pauvre jeune fille, courageuse et douce dans sa passion, qui rassemble ses épargnes, use sa vie dans le travail pour arriver à pouvoir racheter du sort son fiancé Jacques, qui ne la paie que par l’abandon et l’oubli, et lui rapporte la folie en échange de son amour ! C’est dans Marthe que se trouve cet hymne — d’une grace poétique exquise — aux hirondelles : « Les hirondelles sont revenues, — je vois mes deux au nid là-haut… — On ne les a pas séparées, — elles, comme nous autres deux !… Restez, ma chambre est au soleil ; — je ferai tout pour que vous vous attachiez à moi ; — restez, oiseaux aimés de Jacques ! etc., etc. » Ce n’est pas le sacrifice innocent, l’abnégation de l’amour qui fait le mérite des Deux Jumeaux ; c’est un sentiment aussi pur qui éclate dans ce récit, — le dévouement fraternel. Ai-je besoin d’ajouter que la Semaine d’un Fils a le même caractère ? Simple épisode de cette épopée populaire de Jasmin, — et non le plus considérable, — la Semaine d’un Fils est une bien humble histoire, sans faste, sans recherche, sans effets savans et sonores ; peut-être même l’action serait-elle trop peu liée, trop peu consistante, si l’intérêt n’était relevé par le sentiment intime qui circule dans le récit, par le charme des détails et ces traits soudains de sensibilité qui révèlent toujours le poète. Le poème s’ouvre par une de ces scènes naïves, empreintes de je ne sais quelle grace touchante, je ne sais quel mystère émouvant, et qu’il faut lire, si je puis ainsi parler, avec le cœur.