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blicains sont supérieurs à la république. Il y a long-temps, à voir agir et parler les gens de la dictature, que nous soupçonnions que c’était là la maxime secrète des républicains ; mais, en matière de comptes, nous trouvons que la maxime est d’une application scabreuse.

Nous allions oublier, parmi les scènes qui relèvent de l’ancienne comédie, celle de l’inspecteur-général de la république dans les douze départemens de la Lorraine. Voici les comptes de sa mission : « Frais de voyages de l’inspecteur-général de la république, accompagné de son secrétaire et de son domestique, 8,786 francs ; location de la chaise de poste, 300 francs ; cinq jours de séjour à Paris, 86 francs ; frais d’équipement pour la tournée de l’inspecteur-général et de sa suite, 350 francs ; appointemens du secrétaire et de l’inspecteur-général, 500 francs ; gages du domestique, 100 francs ; indemnité de l’inspecteur-général à raison de 40 francs par jour, 2,120 francs ; total, 12,242 francs. Voilà, dit M. Ducos, une mission qui a duré cinquante-trois jours seulement, et qui coûte à la France 12,242 francs. » Mais, dans ce train magnifique dont s’entoure M. l’inspecteur-général de la république, il y a quelqu’un de sa suite qu’il a oublié de porter dans ses comptes, c’est un huissier, un inexorable huissier, comme le dit M. Ducos, qui suit partout l’inspecteur-général de la république, et dépose, dans les villes que traverse triomphalement l’inspecteur-général, des saisies et des oppositions pour obtenir le paiement des dettes de l’inspecteur. Comme l’esclave insulteur qui suivait le char du triomphateur romain, l’huissier suit l’inspecteur-général jusqu’au ministère de l’intérieur, « pour arrêter l’ordonnancement des sommes dues pour la mission ; mais il est arrivé trop tard ; l’ordonnancement était fait et le paiement effectué, dit M. Ducos. » Pauvre huissier ! nous nous intéressions à cette course au clocher entre l’inspecteur-général de la république et l’huissier. Mais nous ne sommes pas étonnés que l’inspecteur-général ait fini par distancer l’huissier ; l’inspecteur voyageait dans la chaise de poste que lui payait l’état, l’huissier allait en diligence sans doute. Nous sommes sûrs, cependant, qu’il y a eu des momens où l’inspecteur a tremblé, et, par exemple, dans la dernière manche, quand il s’agissait de savoir qui arriverait le premier au ministère de l’intérieur. Ce jour-là, l’inspecteur se vengeait de la peur qu’il avait, en s’imaginant que l’huissier représentait la réaction.

Parfois les scènes du rapport de M. Ducos rappellent les temps de la vie féodale. Ainsi il y a souvent plusieurs commissaires pour un département ; l’un s’installe dans une ville, l’autre dans une autre, et de là ils s’excommunient et se mettent mutuellement hors la loi ; mais ces guerres seigneuriales reviennent vite au caractère des choses de notre temps, c’est-à-dire au chiffre. Chaque commissaire se fait payer son indemnité, et tout finit par un ordonnancement aux dépens du trésor public. Il aurait été juste que l’état, qui payait souvent plusieurs commissaires pour un seul département, ne payât qu’un seul commissaire pour plusieurs départemens, quand un seul commissaire était chargé de plusieurs départemens. Il n’en a pas toujours été ainsi ; il y a tel commissaire chargé de deux départemens qui s’est fait payer une indemnité de 40 francs dans chaque département ; il avait pour émarger un don d’ubiquité qu’il ne pouvait pas évidemment avoir au même degré pour les autres fonctions de sa vie publique et privée.

À travers ces scènes bizarres, il y en a de terribles : qu’est-ce que ces vingt-