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petite politique républicaine qu’on lui offrait avant le 29 janvier ; il répudie de même la petite politique bonapartiste qu’on lui offre. Il aime mieux la grande ; il « veut, comme il le dit lui-même, gouverner dans l’intérêt des masses et non dans l’intérêt d’un parti. »

Nous ne savons pas et nous ne voulons pas rechercher quels liens existent entre la lettre du président et le retour de M. Napoléon Bonaparte en France et sa révocation des fonctions d’ambassadeur à Madrid. Nous ne prenons de ces faits que le côté politique, et, sans vouloir juger prématurément la conduite de M. Napoléon Bonaparte, nous demandons à faire une simple remarque. Parmi les journaux de la démagogie, les uns approuvent et encouragent la conduite que semble vouloir tenir M. Napoléon Bonaparte ; ils poussent à la guerre, c’est tout simple. Ils sont heureux de la querelle qui va diviser le parti bonapartiste et affaiblir ce parti, qui est devenu un des élémens du grand parti de l’ordre social. Cette tactique de quelques journaux de la démagogie n’a rien qui puisse nous étonner. D’autres sont plus sincères et peut-être plus habiles. Ils disent au public : Vous voyez ! vous avez voulu constituer une dynastie ou une quasi-dynastie, et voilà que vous en êtes déjà aux escapades ambitieuses des princes du sang ; voilà déjà les Condé qui jalousent les Bourbons. C’est parce qu’il était Bonaparte que M. Napoléon Bonaparte a’été envoyé ambassadeur en Espagne, et c’est parce qu’il est Bonaparte qu’il se permet de revenir sans congé. À quoi nous répondons : Oui, et, quoiqu’il soit Bonaparte, le gouvernement le destitue comme le premier venu des agens diplomatiques. Ç’a été le grand art de Louis XIV d’avoir réduit définitivement les princes du sang à la condition de sujets ; ce sera, nous l’espérons bien, la force de la république de ramener aussi tout le monde à la condition de citoyen. Sous la monarchie absolue depuis Louis XIV, il y avait entre le roi et les princes du sang l’épaisseur du trône ; sous la république, il y a entre le président et ses parens l’épaisseur de six millions de suffrages : la séparation n’est pas moindre. Veut-on faire aujourd’hui l’expérience de la force du nom, indépendamment des circonstances qui ont ajouté il y a quatre mois à la force de la popularité la force de l’à-propos ? Veut-on savoir s’il y a toujours six millions de votes à la suite de ce nom magique, même quand il se divise, même quand il se combat, même quand il se tourne contre la société, même quand il quitte sa grande et belle signification d’ordre et d’organisation pour prendre une signification contraire ? L’expérience est dangereuse à faire. Le nom de Bonaparte ne peut servir qu’à sauver la France. Il ne vaut plus s’il sert à la diviser. Voilà ce que le président a admirablement compris et pratiqué, voilà ce qui fait sa force aujourd’hui. C’était un nom il y a quatre mois, c’est un homme aujourd’hui.

Sous les auspices du nom de Bonaparte, tels que les comprend et les pratique le président, nous ne doutons pas du succès des élections. Le goût de l’ordre et le bon sens l’emporteront sur le goût de l’orgie et de la chimère politiques ; mais il ne faut pas que le parti modéré croie la France sauvée s’il y a de bonnes élections, et qu’il aille se rendormir de ce sommeil dont il s’éveille en sursaut les jours de révolution. Avec de bonnes élections, la société ne sera pas perdue : rien de plus. Il faut que le parti modéré s’organise, il faut qu’il prenne l’habitude d’être toujours sur ses gardes et comme en faction, il faut qu’il comprenne bien qu’il est toujours sur la brèche. Avant février, les remparts étaient minés,