Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/579

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parts, se disant envoyés de Dieu pour annoncer le règne futur de l’égalité des conditions, le plus original de tous fut un nommé Bokold, connu sous le nom de Jean de Leyde, parce qu’il avait été élevé dans cette ville, où il avait exercé tour à tour l’humble profession de tailleur et de cabaretier. Fils d’un bailli de La Have, il avait perdu ses parens de très bonne heure. Sans famille, sans lien fixe qui le rattachât à l’ordre établi, abandonné à toutes les vicissitudes de la fortune et à tous les courans d’idées de ce siècle tumultueux, Jean voyagea beaucoup. Il alla en Angleterre, en Portugal, et, après quatre années de vagabondage, il retourna à Leyde où, ayant épousé la veuve d’un batelier, il ouvrit une petite auberge. Jeune et rempli de cette vague ambition qui ne sait où se fixer, Jean de Leyde s’occupait de littérature, de poésie et surtout de théologie, la science favorite du temps. Il savait presque toute la Bible par cœur, et il aimait à prêcher sur ce texte fécond en commentaires de toutes sortes. Telles étaient les dispositions de son esprit, lorsque, quittant son auberge aussi pauvre qu’il y était entré, il alla se fixer, en 1533, dans la ville de Munster.

La capitale de la Westphalie était alors le centre où aboutissaient toutes les intrigues des anabaptistes. Jean devint bientôt le défenseur le plus énergique de leurs misérables doctrines. L’évêque de Munster ayant été obligé de quitter la ville, les anabaptistes s’emparèrent du gouvernement et proclamèrent Jean Bokold roi et prophète de la Jérusalem nouvelle. Il fut couronné dans la cathédrale de Munster avec une pompe extraordinaire. Il entoura sa personne d’un luxe oriental et d’un sérail de jolies femmes, afin de mieux ressembler au type vénéré de la royauté hébraïque, le sage Salomon. Il marchait dans les rues la tête ornée d’une couronne d’or, et sur sa poitrine envoyait un collier magnifique supportant un globe traversé par deux épées avec cette inscription : Roi de la justice sur le monde ! Sur la ceinture qui fixait sa robe flottante on lisait : La puissance de Dieu est ma force ! Au milieu de ces étranges folies qui servaient à éblouir les yeux du peuple, au milieu des voluptés qu’il aimait à savourer, Jean de Leyde n’oubliait pas le côté sérieux et difficile de sa position. Il se montrait vigilant, capable, réprimant les esprits téméraires, encourageant les faibles par ses prédications, envoyant des émissaires de tous côtés pour tâcher de soulever les populations en sa faveur. Après un siège de six mois, soutenu avec une grande vigueur, les troupes de l’évêque de Munster pénétrèrent dans la ville par une nuit orageuse de l’année 1535. Jean fut pris dans une tour avec deux de ses complices et mis à mort quelques mois après avec des circonstances horribles. Le supplice de Jean de Leyde arrêta les progrès des anabaptistes, l’une des sectes les plus redoutables qu’ait suscitées le protestantisme. Tels sont les principaux faits historiques qui ont fourni à M. Scribe la donnée de son libretto.