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est de recueillir les nouvelles, et vous arrivez toujours chez moi les mains vides. Mais à quoi donc pensez-vous ? » L’abbé s’excuse de son mieux et parle de son amour. La duchesse l’écoute sans dépit, sans étonnement, et veut bien lui promettre une récompense s’il réussit à découvrir le nom de la nouvelle maîtresse du comte de Saxe. Malgré la vivacité de son langage, malgré la curiosité jalouse qui éclate dans ses yeux, l’abbé ne devine pas que le comte est son rival, son rival heureux. Plein d’espoir et de joie, il promet de se mettre en campagne et de revenir bientôt avec le secret qui inquiète si fort la duchesse. Le duc arrive tenant à la main une cassette qui lui a été confiée par l’Académie des sciences. Lié d’amitié avec les hommes les plus illustres de son temps, il s’est appliqué à l’étude de la chimie et doit analyser la poudre contenue dans cette cassette, poudre terrible qui a déjà servi à consommer bien des crimes, et nommée dans le monde poudre de succession. Après quelques propos insignifians où il trouve moyen de placer les complimens à double sens que Voltaire lui a plus d’une fois adressés, le duc se retire avec l’abbé, auditeur résigné de toutes les œuvres de monseigneur. Enfin le comte de Saxe arrive chez la duchesse, qui lui demande avidement l’emploi de son temps depuis l’heure de son retour. Maurice se tire d’affaire assez adroitement. Mais la duchesse aperçoit à sa boutonnière un bouquet noué d’un ruban. De qui tient-il ce bouquet ? D’une jeune fille qu’il a rencontrée à la porte de l’hôtel ? En vérité ? L’étrange bouquetière qui noue ses fleurs avec un ruban vert et or ! La jalousie de la duchesse, déjà éveillée par des rumeurs confuses, s’attache à ce bouquet comme s’il devait lui révéler le nom de sa rivale. Il lui faut à tout prix une explication franche et complète. La duchesse donne rendez-vous à Maurice le soir même dans la petite maison que le duc a louée pour la Duclos. J’oubliais de dire qu’Adrienne Lecouvreur doit venir le lendemain réciter des vers dans le salon de Mme de Bouillon, car la duchesse a pris Adrienne sous son patronage. Ainsi, dès le premier acte, nous avons sous les yeux les principaux personnages de la pièce. Si Adrienne ne paraît pas, la duchesse lit à Mme d’Aumont une lettre signée d’Adrienne, qu’Adrienne n’a jamais écrite, mais empreinte d’une vivacité ingénieuse, d’une touchante modestie. Tous les élémens du drame qui va se dérouler devant nous sont contenus dans les scènes que nous venons de raconter. Il n’y a pas un mot, pas un incident qui ne doive, dans quelques instans, servir au développement de l’action.

Au second acte, nous sommes dans le foyer de la Comédie-Française ; les comédiens arrivent et s’entretiennent des querelles de coulisses. On joue Bajazet. Adrienne Lecouvreur doit remplir le rôle de Roxane, au grand déplaisir de la Duclos. Acomat fait une partie d’échecs avec son confident. Michonnet, régisseur du théâtre, chante sur tous les tons, l’éloge d’Adrienne, qui arrive enfin, son rôle à la main. L’entrevue qu’elle a eue le matin même avec Maurice trouble singulièrement la