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printemps les moissons. Dites, je vous prie, à celui qui assiste chaque jour à tous les miracles de la nature, qui, plus que tout autre, connaît les bienfaits des saisons, dont la vie tout entière se passe à la clarté du ciel, qui, sans en raisonner doctement peut-être, dans cette admirable harmonie des choses, sent la main d’un ordonnateur suprême, — dites-lui qu’il vous plaît un instant de casser aux gages cette providence infidèle qui a le tort de ne pas entrer dans vos vues ! il rira de vous, et lequel sera l’ignorant ? lequel sera l’insensé ? Jasmin n’est que l’écho de la voix populaire lorsqu’il sème ses récits d’incidens où perce le sentiment religieux. C’est cet accord de l’instinct public et de l’instinct du poète qui donne un accent de naturel et de vérité au portrait qu’il fait du prêtre de campagne. « J’aime le prêtre de campagne, dit-il ; comme celui de la ville, lui n’a pas besoin, pour faire croire au bon Dieu, pour faire croire au démon, de dresser son esprit sur la sainte montagne… Autour de lui tout croit, tout prie : aussi bien, ils pèchent souvent, comme nous le faisons tous ; mais le prêtre des champs n’a qu’à élever la croix, et le mal devant elle plie, et le péché déjà né en herbe s’arrache. Oh ! le prêtre des champs, je l’aime, je le trouve beau : de son siège de bois, rien n’échappe à son œil ; sa cloche chasse au loin la grêle et le tonnerre. Il a les feux toujours ouverts sur son troupeau ; un pécheur le fuit, il le sait, il le va chercher. Pour les fautes il a des pardons, pour les chagrins un baume bien doux. Son nom court béni ; les vallées en sont pleines. Chacun l’appelle dans son cœur le grand médecin des peines » On veut chasser Dieu de la conscience des hommes. Si cela se pouvait pour quelques esprits superbes qui vivent de fictions et des mensonges de leur orgueil, le sentiment religieux ne conserverait-il pas un refuge assuré dans le cœur de ceux qui souffrent et qui ont quelque chose à espérer ?

Dans cette vie populaire, en effet, dont les œuvres du poète méridional sont en quelque sorte le miroir, il y a de vives et poignantes misères « qui se cachent partout entre deux murailles ; » il y a des indigences cruelles, des pauvretés sans nom. Nul mieux que Jasmin n’a peint ces réduits obscurs où la faim et le froid se disputent un être humain, ces « maisonnettes encombrées de famille où le manœuvre au visage rêveur dit à ses enfans : — Ah ! pauvrets, que le temps est dur ! » mais aucune de ces misères ne lui apparaît qu’il ne la montre éclairée et calmée par la lumière divine de la bienfaisance, qui désarme les irritations secrètes et empêche la douleur de s’aigrir. Cet intervalle qui sépare les heureux de ce monde de ceux qui souffrent, et que d’autres s’efforcent d’élargir en y faisant germer la haine, — une haine inextinguible, — il le comble par la charité qui rapproche et unit. Dans la pauvreté telle que la peint le poète, il n’y a ni fiel ni envie ; il y