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à le juger d’une manière absolue, doit être accepté ou blâmé ; c’est l’exécution seule, en pareille matière, qui absout ou condamne la hardiesse du peintre. Certes, quand on voit sur les absides des vieilles basiliques italiennes ces grandes figures de Christ souvent si imposantes et si saintes, on ne se demande pas s’il y a là une règle observée ou violée, on est ému, et l’on admire ; c’est aussi ce qui arrive à Saint-Paul de Nîmes : l’audace de la pensée exigeait une rare intelligence dans l’exécution, et M. Flandrin y a trouvé l’occasion d’un triomphe. Son Christ est assis, et, quoique trois fois plus grand que les personnages placés près de lui, il ne s’élève pas au-dessus d’eux de manière à détruire l’accord de la composition. Assez grand pour que sa noble tête domine toute la scène et porte majestueusement l’empreinte divine que lui a donnée le peintre, il ne l’est pas assez pour distraire le regard étonné. On est frappé de la grandeur morale et de la sublimité de l’expression avant d’avoir réfléchi à ce qu’il y a d’extraordinaire dans les dimensions du corps. Rien ne trouble, en un mot, l’harmonie parfaite de cette belle œuvre. Et puis tout ne se tient-il pas dans un travail sérieusement conçu ? En plaçant ses personnages dans un ciel d’or, en leur ouvrant une sphère surnaturelle, M. Flandrin se donnait aussi plus de liberté pour les proportions de la figure principale, en sorte que ces deux choses, le fond d’or et la colossale grandeur du Christ, bien loin de n’être qu’une fantaisie du pinceau, relèvent d’une combinaison savante et se justifient mutuellement.

Sur les deux murailles qui enferment cette partie du chœur et conduisent à l’abside, M. Flandrin avait, pour ainsi dire, trois étages différens à peindre. À l’endroit le plus rapproché du sol, aux deux côtés des arceaux ouverts sur les galeries latérales, il a placé les quatre évangélistes. À gauche, voici saint Luc et saint Mathieu ; à droite, saint Jean et saint Marc. Ces quatre figures, sans donner lieu à des remarques spéciales, sont empreintes de cette beauté calme que M. Flandrin interprète avec tant de bonheur. Le saint Jean est plein de grace. Les attributs des évangélistes forment comme un sujet à part qui remplit un vide, et pourtant se marie très bien aux figures dont ils dépendent. Je recommande surtout l’ange de saint Mathieu ; agenouillé, les mains jointes, il adore le livre saint qui retrace l’enseignement de Jésus, et certes, à la douceur inaltérable de son visage, à l’expression de bonheur qui illumine son regard, il est facile de reconnaître le messager de la bonne nouvelle.

Au second étage, et immédiatement au-dessus des grands arceaux, M. Flandrin a voulu exprimer l’adoration du saint des saints ; au-dessus des évangélistes, l’adoration de celui que la bonne nouvelle vient d’annoncer au monde. De chaque côté, à droite et à gauche de l’autel, deux des blancs messagers de l’infini, deux archanges, volent l’un vers l’autre, hardiment et gracieusement lancés dans l’espace comme de mystiques encensoirs. Au-dessous d’eux, le peintre a tracé ces mots : Sanctus, sanctus, sanctus ; mais c’est surtout dans leurs regards, dans l’empressement de leur attitude, dans l’admirable élan de leurs corps, qu’il a exprimé l’adoration. Entendez-vous comme ils chantent, comme ils lancent au plus haut des cieux l’éternel hosanna !

Enfin, si vous levez les yeux, vous apercevez, à gauche, tout en haut de l’édifice, les quatre grands théologiens de l’église grecque. Ils sont assis deux à deux,