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même qui élève l’homme, qui est pour lui un instrument de liberté et lui procure le moyen de satisfaire ce sentiment intime, impérieux, de solidarité qui fait qu’il vieillit et se retire content du monde en voyant ses enfans recueillir l’héritage de ses sueurs. Que d’autres cherchent une issue dans ces masses profondes pour y faire arriver l’envie et la haine ! Jasmin n’y hasarde son regard que pour relever justement cette condition laborieuse en montrant tout ce qu’il y a d’animé, tout ce qu’on y peut découvrir d’élémens vigoureux en faisant assister à tout ce qui se développe, là comme ailleurs, de sentimens, de passions, de drames obscurs ou d’épisodes heureux. De la vie du peuple méridional il n’oublie rien, ni ses rigoureux labeurs, ni ses délassemens enivrans, ni ses jours de deuil, ni ses fêtes charmantes. Tout se reflète dans ses vers où la plus singulière exactitude technique s’allie à la richesse de l’imagination, dans la description du travail de tous les jours, des noces joyeuses et pittoresques, de ces veillées du soir où les anciens content pour la centième fois les vieilles histoires, tandis que les plus jeunes se parlent tout bas « au bruit amer et doux du dévidoir. » Est-ce la faute du poète, si la politique tient peu de place dans les préoccupations de ce monde rustique et laborieux ? Hélas ! le nom même des dieux nouveaux est inconnu de la plupart de ceux qu’ils veulent convertir à leur religion et à leurs systèmes, qu’ils croient peut-être déjà avoir convertis. La politique populaire, la seule qui existe, — qu’elle soit une vue profonde ou un préjugé, — c’est celle que révélait Jasmin dans un morceau sur Latour d’Auvergne, lorsqu’il montrait, en finissant, l’image de l’empereur descendant dans les masses et les enivrant de son prestige familier. « Quand tout devient petit, disait-il, lui seul semble grandir. C’est que, pour lui, le peuple a toute sa mémoire ; c’est que, malgré tant de livres payés, de l’empereur, de ses soldats, le peuple hardiment désobscurcit l’histoire, et seul, il en fait luire les mille soleils ; car le peuple est ici, jusqu’au dernier des siècles, le grand poème de Dieu, qui fait tout retentir quand pour la gloire il chante et qui a trente millions de voix et de feuillets ! » — Les poètes ne sont-ils pas quelque peu prophètes ?

Nous parlons du peuple et de ses mœurs, qui sont la manifestation extérieure de son génie. Ne croyez pas que Jasmin commette l’infidélité de travestir le caractère populaire au point d’effacer Dieu de ces consciences naïves. Cette fleur toujours vivante du sentiment religieux, il peut la recueillir de toutes parts autour de lui, dans les habitudes, dans les ames, dans les usages pieux, dans les traditions consacrées par la foi publique. La croyance n’a point perdu son empire sur les cœurs, et ce n’est pas sans émotion, ce n’est pas sans se découvrir et s’agenouiller qu’on voit encore dans les campagnes le prêtre bénir au